L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
Scène culte (19)
Les attaques de train sont un motif incontournable des westerns. Souvent banales, parfois spectaculaires. Celle de la Horde sauvage de Sam Peckinpah est un modèle peut-être indépassable en termes de rythme et d’efficacité.
Pourtant, personne n’en avait jamais, à ma connaissance, tenté une approche poétique comme celle d’Andrew Dominik dans l’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford.
Son préambule est simplement magnifique : la bande des frères James attend dans un bois l’arrivée du train mais voilà, l’attaque va se dérouler de nuit et c’est toute l’imagerie classique de ce genre de scène qui s’en trouve perturbée. Au début, seule une voix neutre chantant l’insoumission à la nation américaine (rappel de la haine que vouait Jesse James aux yankees) trouble le silence du petit bois où attendent les brigands. Les visages sont voilés de draps sales, mal taillés et percés de trous irréguliers pour les yeux, il y a le ballet des lanternes, une remarque laconique en forme d’avertissement pour stigmatiser l’amateurisme des seconds couteaux recrutés.
Le tremblement du rail et l’éboulement de quelques cailloux annoncent l’arrivée du train. La cadence mécanique des roues le précède ; lorsqu’il débouche d’un tournant, on ne voit que la lumière blafarde et irréelle à l’avant du train qui balaie les arbres, créant de poétiques contrastes et éclairant les fantômes tapis dans le bois. La musique mélancolique (composée par Nick Cave et Warren Ellis) accompagne la progression inéluctable du train vers le lieu choisi pour l’embuscade. Lanterne à la main, Jesse James attend que le « cheval de fer » s’immobilise, comme l’étudiant chinois devant le char sur la place Tien An Men, mais pour une bien moins noble cause. De dos, il est une silhouette se dressant comme une apparition dans un halo de brouillard et de fumée. De face, on ne voit que ses yeux au-dessus du foulard ; la légende de l’Ouest ne disait-elle pas qu’il était capable d’arrêter un train du regard ?
Mais le véritable combat n’est pas celui du brigand et du train ; c’est celui de l’ombre et de la lumière. Cette lumière qui joue à cache-cache entre les arbres tandis que l’ombre fait de la résistance et immerge la scène dans un bain sépia. Qui va se transformer en bain de sang. L’écran est parfois noir, parfois strié de crépitements d’étincelles jaillissant des roues, comme une succession rapide d’images abstraites.
Le film de Dominik est une démystification d’un personnage devenu iconique et s’emploie à en donner une vision plus réaliste.
Pourtant, cette scène est tout le contraire : le cinéaste ose un lyrisme poignant rare dans le western, avant de passer à la sordide brutalité de l’attaque proprement dite.
L’artiste n’est-il pas toujours plus fascinant lorsqu’il est paradoxal ?
Toutes lesscènes cultes !