Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès
Scène culte (24)
Le Voyage dans la Lune est un incontournable. Œuvre pionnière, il a ouvert un certain nombre de portes pour les cinéastes à venir. Retour sur l’un des premiers films à effets spéciaux de l’histoire du cinéma.
Projeté en 1902 et colorisé cent huit ans après sa création, ce film onirique de quatorze minutes dépeint non seulement le voyage d’un groupe d’astronomes dans l’espace, mais en cache aussi un tout autre… Celui dans l’histoire et l’univers du cinéma.
Cette scène culte montre de manière ludique et surréaliste la projection du boulet-fusée de l'expédition en plein dans l’œil droit d’une Lune à visage humain. Elle consacre toute la puissance créative et transcendante du cinéma : transformation d’une réalité inerte (le satellite) en son contraire, du vivant doué d'émotions.
Georges Méliès, grâce à son langage visuel et à l’image des protagonistes qui posent le pied sur la Lune, a découvert et inauguré une nouvelle planète : le cinéma. Au mode de reproduction réaliste et photographique des frères Lumière, il substitue un mode de transformation du réel.
Ce polyptyque, avec sa suite de scènes enchâssées comme des tableaux peints, incarne l’essence du cinéma. La manière de représenter prime ce qui est représenté, la réalité extérieure n’est plus une fin en soi mais un moyen au service d’une finalité supérieure, la fiction et l’imaginaire. Certes, d’aucuns croiront peut-être discerner une critique du caractère irrationnel de la communauté scientifique (des astronomes déguisés en magicien et alchimiste, avec chapeaux pointus ou motifs en forme d’étoiles) ou une dénonciation de l’ hubris humaine, de son impact négatif sur l’univers et les planètes/terres explorées (l’engin spatial s’assimile à une cartouche de revolver blessant la Lune). Mais à quoi bon s’échiner à déceler un quelconque message quand l’essentiel est ailleurs ? Le réalisateur français veut divertir en exploitant la richesse des possibilités d’un art encore balbutiant.
Le fondu ou la surimpression, notamment, sont de véritables effets spéciaux avant l’heure. L’objectif se situe bien au-delà des considérations terre-à-terre : libérer le cinéma des arts qui l'ont précédé et le placer sur orbite pour en faire le... septième art. Si les frères Lumière ont appris au cinéma à marcher, Méliès lui a appris à voler.