Shadow and Bone
Adaptation de la trilogie Shadow and Bone et de la duologie de Six of Crows de l’auteure américaine Leigh Bardugo, la dernière série fantasy diffusée sur Netflix rencontre un vif succès. Au-delà de la simple magie, Shadow and Bone propose une réflexion sur l’acceptation de soi et sur des sujets sociétaux.
Avant de se plonger dans l’histoire, il est essentiel de poser les bases de l’univers. La série nous emmène essentiellement à Ravka, un royaume en guerre avec des nations voisines : Fjerda et Shu Han. Pour se défendre, Ravka possède deux armées : la Première Armée, composée de soldats humains, et la Seconde Armée, composée de ce qu’on appelle les « Grisha », soit des hommes et femmes possédant des pouvoirs.
Il existe trois ordres de Grisha : les Corporalki, Etherealki et Materialki. Chacun de ces ordres se distingue selon leur « kefta », un vêtement brodé d’une certaine couleur qui indique leur capacité et les protège des balles. Le rouge est dédié aux Corporalki, qui contrôlent le corps humain ; le bleu pour les Etherealki, des invocateurs d’éléments naturels ; le mauve pour les Materialki (ou Fabrikators), qui manipulent différents matériaux.
En plus d’être en guerre, Ravka est divisé géographiquement en deux par le « Shadow Fold ». Cette mer de ténèbres est peuplée de « volcras », des monstres ailés qui se nourrissent de tout ce qui bouge. Selon la légende, le Fold aurait été créé il y a des millénaires par « l’Hérétique Noir », un grisha invocateur de ténèbres, en utilisant une forme de magie noire.
C’est dans ce contexte qu’entre en scène Alina Starkov, une cartographe orpheline qui accompagne la Première Armée. Certains soldats doivent traverser le Shadow Fold afin d’atteindre la partie Ouest de Ravka et ravitailler la région. Son meilleur ami d’enfance, Mal, lui aussi orphelin, est contraint de participer à l’expédition. Par peur de le perdre, Alina trouve alors un moyen de monter à bord. Pas de chance, à peine entré dans le Fold, l’équipage se fait attaquer par des volcras. Mal frôle la mort et Alina déclenche inconsciemment ses pouvoirs jusqu’alors inconnus pour le protéger, foudroyant les monstres par un jet de lumière.
De retour sur la terre ferme, Alina est emmenée dans la tente du général Kirigan, descendant de l’Hérétique Noir et dirigeant de la Seconde Armée. Elle apprend qu’elle est l’invocatrice de lumière, et qu’elle serait la seule à pouvoir détruire le Fold. Sa vie change alors du tout au tout : elle est emmenée au Little Palace où elle va devoir s’entraîner aux côtés des autres Grisha, loin de Mal, et s’adapter à ce tout nouvel environnement.
Mais Shadow and Bone ne s’arrête pas à ce scénario. Parallèlement à l’histoire principale, on suit trois autres personnages : Kaz, Inej et Jesper. Ils font partie du Crow Club, une organisation criminelle de Ketterdam. Ils acceptent une mission qui pourrait les rendre riches. Ils doivent traverser le Fold, kidnapper l’invocatrice de lumière et la ramener à Dreesden, un marchand de la ville. Une quête risquée qui pourrait leur coûter la vie.
Une série clichée ou innovante ?
Même s’il s’agit d’une série fantasy, Shadow and Bone tire son inspiration de la réalité. Notamment en ce qui concerne les différents territoires. Ravka, par exemple, renvoie à la Russie impériale. L’architecture du Little Palace, là où Alina s’entraîne, rappelle les grands châteaux russes. Pour s’adresser aux souverains du royaume, les personnages utilisent des termes tels que « moi tsar » ou « moya tsaritsa ». Ketterdam est une référence à Amsterdam, Fjerda aux pays scandinaves et Shu Han à la Chine. D’une certaine manière, cela permet aux spectateurs et lecteurs de faire des parallèles avec la réalité.
Là où certaines séries du même genre font l’impasse sur des sujets sociétaux, celle-ci innove en parlant de thèmes actuels. L’exemple principal étant le racisme. Les deux personnages principaux, Mal et Alina, sont tous deux critiqués pour leur identité. En effet, la mère d’Alina venait de Shu Han, ce qui fait qu’elle possède des traits similaires aux habitants de cette région. À de nombreuses reprises, elle subit des attaques racistes, certains l’appelant « mangeuse de riz » ou d’autres proposant de rendre ses yeux « moins shu ». Plus que de vaincre les ténèbres avec sa lumière, le véritable combat d’Alina est de s’accepter. Pendant une grande partie de la série, elle passe son temps à chercher qui elle est véritablement. Elle désire mener une vie simple, où personne ne la remarquerait, et cherche même à transférer son don. Jusqu’à ce qu’elle décide d’apprécier sa valeur et de montrer sa puissance.
On retrouve également une différence entre les Grisha et les humains sans pouvoirs. À Ravka, la plupart des Grisha sont craints. Beaucoup d’humains les critiquent car ils se sentent inférieurs à eux mais ils restent globalement respectés. Cela s’explique par leur position au sein de la Seconde Armée et par la prestance du général Kirigan qui les commande. À Ravka, personne n’ose s’opposer à lui. Dans les autres contrées, notamment à Fjerda, être Grisha est passible de mort. Là-bas, des chasseurs de Grisha, appelés « Druskelle », sont formés pour les tuer et déjouer leurs pouvoirs. Il s’agit très clairement, dans ce cas-ci, d’un nettoyage ethnique.
Les agressions sexuelles sont également un des thèmes centraux de l’histoire. On y apprend par exemple que Genya, une Grisha ayant été offerte à la reine à l’âge de 11 ans, est fréquemment abusée par le roi. Ou encore que Inej a été kidnappée puis vendue comme esclave dans un bordel. Chacune d’entre elles cherche à obtenir sa vengeance d’une manière ou d’une autre à la fin de la saison 1. Le consentement est mentionné dans la série d’une manière plus implicite.
En évoquant ces thèmes, Shadow and Bone pousse ses spectateurs à la réflexion et à faire des parallèles avec des faits ou des périodes historiques. De plus, une des forces de la série réside dans la diversité du casting. On y retrouve des orientations sexuelles différentes, plusieurs personnages principaux de couleur de peau différentes, des femmes fortes, des combattantes...
Une série pour les fans ou pour tout public ?
Étant donné qu’il s’agit de ma saga littéraire préférée, j’attendais avec impatience la sortie de la série. Pour tout vous dire, je l’ai visionnée cinq fois en entier tellement je n’arrivais pas à m’en détacher. À mes yeux, elle était parfaite. J’y voyais certes certains défauts, mais c’est tout. Pourtant, en la regardant avec d’autres personnes, je me suis rendue compte qu’elle pouvait être très confuse pour beaucoup de personnes. L’univers est à peine expliqué, on est tout de suite plongé avec les noms des trois ordres des Grisha, des couleurs de kefta différentes, puis tout ce qui entoure les volcras et le Fold. J’ai dû expliquer certains points qui n’étaient pas clairs à des spectateurs de la série qui découvraient l’univers pour la première fois. Malgré cela, je ne pense pas que c’est accessible uniquement aux lecteurs, car cela ne les a pas empêché d’apprécier ce monde imaginaire.
Jeu entre l’ombre et la lumière
Ayant assez parlé du fond, je vais me pencher sur la forme. D’habitude, j’ai du mal à remarquer les jeux de lumières ou le contraste dans les productions cinématographiques. Peut-être est-ce parce que j’ai regardé la série cinq fois, mais ici, j’ai beaucoup apprécié la réalisation de la série. Tout au long de la série, Alina est attirée par le Général Kirigan, l’invocateur des ténèbres. Étant l’invocatrice de la lumière, elle est donc son opposée. Les réalisateurs ont joué avec ce contraste à de nombreuses reprises.
De plus, dès qu’Alina invoque la lumière et que le général se trouve dans la même pièce, on voit que la pièce est éclairée mais que le Darkling, lui, reste sombre. Au-delà de l’opposition entre les ténèbres et la lumière, on peut faire un parallèle avec le Yin Yang. Issu de la philosophie chinoise, le Yin Yang représente deux aspects opposés et complémentaires de tout ce qui existe. Le Yang, partie blanche du symbole, correspond au soleil tandis que le Yin, partie noire, évoque l’obscurité. Ce concept est intéressant car il rappelle que rien n’est absolu. Dans le Yin, il existe le Yang et vice-versa. Dans la série et dans les livres, la relation entre le Darkling et Alina est fréquemment décrite ainsi. Ils ont chacun une personnalité et un pouvoir opposés mais ils sont reliés d’une manière ou d’une autre à l’autre. Ce sont ces détails qui font que la dualité était aussi bien exécutée, à mes yeux.
Au-delà de ces deux personnages, l’atmosphère des autres territoires était également très bien rendue. Dans les livres, Ketterdam est connue pour être une ville où règne la pauvreté. Il s’agit d’un endroit où il vaut mieux ne pas trop traîner dans les rues, vu les différents gangs qui y règnent. Dans la série, les scènes qui se déroulaient là-bas étaient très sombres. Les tons utilisés étaient froids, on ressentait la dangerosité de l’endroit rien qu’en l’observant. De même pour le Shadow Fold. Lorsque les personnages le traversent, l’ambiance devient lourde. Il n’y a plus de musique, plus de son, uniquement un battement d’ailes lointain de volcras jusqu’à ce que celles-ci attaquent. On se sent oppressé, comme si nous étions nous-mêmes en train de le traverser.
Cette série a permis de faire découvrir de jeunes acteurs. La plupart a la vingtaine et commence sa carrière cinématographique. Pour des acteurs principaux, comme Jessie Mei Li (Alina), Kit Young (Jesper), Danielle Galligan (Nina) et Calahan Skogman (Matthias), il s’agit de leur premier grand rôle. D’autres membres du casting sont au contraire déjà très expérimentés et connus depuis des années, notamment Ben Barnes (Général Kirigan). Découvert dans Narnia en tant que Prince Caspian, les fans de l’acteur se douteront vite de quel côté le personnage se range, vu son inclinaison à jouer des personnages sombres (Dorian Grey, Billy Russo dans The Punisher ).
Pour le moment, nous ne savons pas encore s’il y aura une saison deux. Mais vu l’engouement qu’il y a eu autour de la série, faisant d’elle la troisième série plus visionnée sur Netflix Belgique une semaine après sa sortie, il est fort probable qu’elle soit renouvelée. Leigh Bardugo a proposé trois saisons, vu qu’il s’agit d’une trilogie. Si cela se fait, elle continuera de suivre la production aux côtés du réalisateur Eric Heisserer.