Operation Mincemeat
Un cadavre pour Hitler
D’après une histoire vraie datant de la Seconde Guerre mondiale, Operation Mincemeat promet d’être un thriller d’espionnage plein de rebondissements avec un casting anglais remarquable, mais le réalisateur John Madden n’en fait malheureusement rien.
Dans les périodes les plus incertaines, les plans les plus étranges et improbables naissent. En 1943, un des membres du Twenty Committee 1 a l’idée de tromper l’adversaire en faisant croire que la Grande-Bretagne allait attaquer en passant par la Grèce, alors qu’en réalité, l’intention était d’entrer par le sud de l’Italie. Ce membre n’était autre que l’assistant personnel du contre-amiral John Godfrey (Jason Isaacs), plus connu comme étant l’auteur britannique Ian Fleming (Johnny Flynn), ayant écrit les romans à succès de l’agent du MI6, James Bond.
Sous la tutelle du contre-amiral, l’auteur travaille en collaboration avec les services de renseignement de sécurité intérieure britanniques du MI5, Ewen Montagu (Colin Firth) et Charles Cholmondeley (Matthew Macfadyen). Ces derniers sont chargés d’orchestrer scrupuleusement une opération destinée à mystifier les services secrets d’Hitler afin de changer le cours de la guerre.
Le principe de la mission consiste à utiliser un vrai cadavre pour communiquer de fausses informations aux Allemands. Ce cadavre se présente sous la fausse identité du Major William Martin (Lorne MacFadyen) des Royal Marines . Relâché au large des côtes espagnoles, il porte sur lui des documents classifiés falsifiés, destinés à atterrir entre les mains des Nazis.
Une bataille qui se déroule dans l’ombre
Le film de John Madden ( connu notamment pour avoir réalisé Shakespeare in Love en 1998) se base sur l’ouvrage éponyme de l’historien Ben Macintyre. Cependant, le non-fictionnel Ewen Montagu avait déjà écrit un livre sur l’opération sous le titre The Man Who Never Was ( L'homme qui n'a jamais existé ), publié en 1953 et adapté au cinéma en 1956 par Ronald Neame.
Avec une telle base d’écriture, on pouvait s’attendre à du solide. La scénariste Michelle Ashford pouvait se permettre de développer le suspense et la tension narrative propres à un thriller d'espionnage. Malgré le fait que sa réécriture soit restée très convenable et classique, elle s’est perdue dans certaines sous-intrigues qui n’aboutissent à rien et qui passent à côté de certains éléments plus utiles à la compréhension de l’opération.
On sent que le scénario se cramponne à son fil rouge qui est la mission de désinformation, mais qu’il est agrémenté d’autres histoires n’apportant grand-chose comme le triangle amoureux entre Jean (Kelly Macdonald), Ewen et Charles et le mysticisme concernant le frère de Ewen Montagu, Ivor (Mark Gatiss) soi-disant espion à la solde russe.
L’effort fourni afin de rester sur les bons rails de cet événement est quelque peu bancal à cause du manque de clarté sur le contexte géographique de l’époque couverte par le film et sur l’impact conséquent de vies sauvées par cet acte.
Deux rôles auraient pu être plus présents à l’écran : celui de Ian Fleming et celui de Teddy (Jonjo O’Neill), un agent secret irlandais. En effet, l’implication de Ian Fleming n’est pas développée et l’influence de son expérience militaire et d’espionnage sur la création de l’agent 007 n’est pas du tout exploitée. Quant à Teddy, John Madden aurait dû faire le choix de poser un fusil de Tchekhov, c’est-à-dire préparer le spectateur par des éléments clés et mémorables, mais anodins à première vue. Malgré l’importance du personnage, il n’apparaît qu’une brève fois à l’écran avant de revenir lors d’un moment capital. Il y avait pourtant matière à faire monter la tension, car Teddy était chargé de vérifier l'authenticité de l'identité du cadavre de William Martin, contrôlant point par point la véracité de son existence.
Au-delà de ces regrets, le film souffre d’un souci de rythme. La bande-annonce promettait une intrigue aussi exaltante qu’intrigante avec beaucoup de dynamisme et de rebondissements, alors que le long-métrage est lent : le début est très calme, posé et très parlé, ne poussant pas le spectateur à s’intéresser à ce qui va se dérouler. Le processus de mise en place de la supercherie est quant à lui dynamisé par un montage alterné, c’est-à-dire un fractionnement important de plans dans le même espace-temps, mais en dehors de ces scènes, tout retombe très vite comme un soufflé.
Le duo des Darcy
L’entente et la performance de jeu de Colin Firth et Matthew Macfadyen sont très solides et tangibles. Est-ce un heureux hasard que ces deux acteurs ayant joué respectivement Monsieur Darcy (personnage provenant de l’ouvrage intitulé Orgueil et préjugés de Jane Austen) à une décennie d’écart se retrouvent réunis sous la direction de John Madden ? Le cinéaste a en tout cas décrété que cette coïncidence était amusante, mais purement accidentelle.
Ajoutons qu’en dehors de cette paire-là, les performances des autres acteurs sont toutes aussi louables, mais hélas cela ne sauve pas un film.
Operation Mincemeat a manqué le coche
John Madden avait toutes les cartes en main pour faire d’ Operation Mincemeat un film qui marque les esprits : un casting de renom, une histoire haletante ainsi qu’une période de l’histoire et un genre qui fascinent toujours le public.
Néanmoins, le film ne s’engage pas assez et nous laisse sur notre faim. L’absurdité étrange du projet fascine toujours, même après 80 ans, mais l’exécution scénaristique n’a pas trouvé le moyen de transmettre ces temps de guerre durant lesquels personne n’a rien à perdre.
On est dorénavant plutôt curieux de voir la première adaptation de l’histoire réalisée par Ronald Neame qui, parait-il, joue plus sur les codes du genre et se disperse moins sur des histoires qui n’aboutissent à rien.