Je vous parle d'un temps
Que les moins de vingt ans
Ne peuvent pas connaître.
Je vous parle d'un temps
Que les moins de vingt ans
Ne peuvent pas connaître.
Et si un jour, on disait ça du théâtre en présentiel ? Une cérémonie est l’une des premières pièces que j’ai revue depuis le déconfinement. L’émotion était à son comble et j’avais l’impression qu’elle était partagée tant par les comédiens du Collectif Raoul que par le reste de la salle. Nous assistions bien, ensemble, à une cérémonie : des retrouvailles avec le théâtre et la magie du partage.
Une cérémonie est une pièce proposée par le collectif Raoul (Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret et Jean-Baptiste Szézot), une troupe belge née en 2009. Un huis clos festif, patiné d’absurde dont se dégage pourtant une sorte d’urgence.
Un groupe de personnes se réunit dans une pièce. On ignore qui sont ces gens et jusqu’à la teneur de leur réunion : s’agit-il de retrouvailles, d’une fête, d’un évènement ? La conversation est décousue comme celle que l’on tiendrait entre amis à un apéro improvisé. De toasts interrompus en vannes, l’atmosphère qui paraissait solennelle se détend. Bien qu’une certaine gravité semble encore planer dans l’air. C’est comme si on riait pour échapper à quelque chose, quelque chose d’invisible mais d’omniprésent : un djinn, une nouvelle ? Ce salon devient un espace insulaire où les rescapés nous embarquent sur d’autres planètes. Surgissent sur scène, comme d’un chapeau d’illusionniste, des créatures légendaires.
La mise en scène est un tour de passe-passe, elle a pris le parti de la plus grande des simplicités mais provoque notre émerveillement. Tout part d’un décors sobre où, à l’instar des jeux d’enfant, prétendre suffit à transformer un lit superposé en un vaisseau spatial. C’est avec simplicité en toute transparence que les éléments prennent vie au son des instruments, au rythme de la complicité qui règne. La bulle des protagonistes se métamorphose au gré des joutes et des vers déclamés. Les sièges présents dans la pièce, éloignés loin de l’autre, sont un énième indice d’une époque où distance est devenu le maître-mot.
Une cérémonie est une pièce plus profonde qu’elle n’y paraît au départ, une sorte d’échographie d’un imaginaire qui résiste à la pesanteur d’un contexte qu’on ne nomme pas. Si c’est réussi et émouvant, c’est parce que la représentation dépasse la mise en scène : elle nous invite à respirer hors de la bulle du temps présent et tisse des fils invisibles entre nous. Elle résonne d’actualité et par la même occasion, rappelle la force du théâtre : sa capacité, toujours surprenante de magie, à lier les êtres le temps d’un instant. Le propos était fort, au cœur des choses sans prendre tout l’espace, sans être martelé : il s’agissait d’une vaillante et pacifique résistance à l’actualité dont les règles, malgré leur nécessité, isolent et désenchantent. On en oublierait presque qu’il ne s’agissait bien là que d’une fiction. Il y avait, au-delà de l’excellence des comédiens, quelque chose de plus frappant encore : l’amour du jeu qui transcendait des répliques. En guise d’écho à chaque échange, on pouvait entendre « Je suis content.e de jouer pour vous ce soir ».