À travers les yeux d’un jeune garçon qui grandit dans notre société patriarcale et se questionne sur les genres et leur impact, Sylvie Landuyt nous pousse à nous interroger sur le monde dans un seul en scène percutant. Dans Wow (ça suffit !) , présenté à la Ferme du Biéreau, les genres se mélangent pour mieux atteindre le spectateur.
Dans la pièce musicale Wow (ça suffit !) , nous suivons un jeune garçon qui, dès l’enfance, est confronté au monde patriarcal qui est le nôtre. À travers la figure de ses parents, en tentant d’en apprendre plus sur le petit humain qu’il est, il découvre sa condition d’homme privilégié et celle, plus compliquée, de ses sœurs. Enfant, il tente de fermer les yeux ; adolescent, il répète les erreurs. Son évolution se trace sous nos yeux ébahis grâce au monologue entrecoupé de chansons proposé par Sylvie Landuyt.
Dès mon arrivée dans le théâtre de la Ferme du Biéreau , un nom sur le programme attire mes yeux : Paul Pourveur. En « conseiller dramaturgique », il provoque ma curiosité pour ce spectacle, lui qui à travers son texte L’abécédaire des temps (post)modernes avait déjà su me toucher. Après seulement quelques minutes, les interrogations fusent : « Que sommes-nous en train de regarder ? » Un spectacle musico-littéraire, indique le site. Ce terme semble judicieux tant les genres se mélangent dans cette mise en scène originale. Sylvie Landuyt, seule en scène, s’avance pour commencer un monologue théâtral. Celui-ci est entrecoupé de plusieurs chansons entraînantes qui poussent à les fredonner, telles que « J’aime regarder les filles » de Patrick Coutin ou encore un tube d’ABBA. Cette pièce, qui par moment se transforme en petit concert, nous charme par son hybridité et son originalité. Le décor, presque inexistant, nous permet de nous concentrer sur le personnage central entouré sobrement de deux musiciens discrets.
Soudain une question me taraude : ce mélange n’est-il pas trop brouillon ? Permet-il de bien percevoir les émotions, d'accéder au récit ? Au début, le spectateur est légèrement perdu mais il se prend très vite au jeu du changement. C’est alors qu'apparaît l’intérêt de cette forme hybride : son caractère nous permet d’entrer pleinement dans la tête du personnage, d’éprouver de l’empathie pour lui grâce à ses monologues justes, simples mais puissants, ainsi que de se reconnaître et de vibrer grâce aux musiques.
L’actrice, jouant mais aussi écrivant et mettant en scène le spectacle, porte véritablement le poids de la représentation sur ses épaules. Elle s’en sort avec brio, encadrée par deux musiciens qui, malheureusement, se font parfois oublier. Leur rôle reste flou, peu important, et pousse à se demander s’ils n’auraient pas pu être utilisés de manière plus judicieuse dans l’intérêt de la dramaturgie.
Malgré cela, Sylvie Landuyt est puissante dans son rôle . Au-delà de sa jolie voix et de son talent de chanteuse, elle offre une émotion particulière grâce à des mots choisis avec soin et prononcés d’une intonation juste. En effet, le texte s’adapte à l’âge du personnage, à son évolution. Enfantin quand il n’est qu’un bambin, rebelle quand il devient adolescent, mature quand il arrive à l’âge adulte, le style ne cesse de changer pour permettre au spectateur de mieux entrer dans la tête du garçon. Son histoire, plutôt traditionnelle, dans laquelle un grand nombre de personnes pourront se reconnaître, nous touche par sa simplicité. Face aux pensées nues, sans honte et sans tabou, nous sommes submergés.
Il faut le dire : traiter du patriarcat sur scène n’a rien de facile. Un sujet tourné et souvent retourné dans nos bouches et nos têtes ne peut que devenir dangereusement banal. Ici, la metteuse en scène-actrice-écrivaine réalise un tour de force en parvenant, par sa finesse et son authenticité, à ne pas tomber dans le cliché. Le choix de présenter la vision d’un jeune garçon, ne parvenant pas et ne cherchant pas à mettre des mots sur les injustices qu’il voit et qu’il vit, permet de réellement s’attarder sur celles-ci plutôt que sur une pseudo-dénonciation critique qui tournerait au vinaigre. Ici, via son regard, nous appercevons les ravages de la masculinité toxique, la difficulté d’être une femme engagée dans un monde patriarcal (via la figure de la sœur) mais aussi les problèmes qui se présentent quand on est un homme. Lorsque la parole semble trop difficile à partager dans un monde blanc ou noir, surtout quand on cherche à comprendre notre gris.
Ainsi, ce spectacle musico-littéraire pousse le spectateur à se questionner autrement, à percevoir les nuances et les problématiques d’un féminisme contemporain qui doit se réinventer pour s’ouvrir à l’autre.