La Part sauvage
Tu seras un homme,
mon frère
27 août 2018 par Siham Najmi dans Cinéma | temps de lecture: 5 minutes
Le canal de Molenbeek, Guérin Van de Vorst le connaît bien, lui qui habite ce quartier depuis plusieurs années. Il y aura donc dans la Part sauvage des plans pour le lécher, pour apprivoiser sa grisaille et rappeler le contexte urbain de l’histoire. Soit celle de Ben (Vincent Rottiers), délinquant libéré après trois années d’emprisonnement pour braquage. La sortie est rude, sans surprise. Ben a laissé à l’extérieur une ex, Nadia (Amel Benaïssa), et un enfant de maintenant dix ans, Samir (Simon Caudry). L’accueil n’est pas des plus chaleureux. L’ex a refait sa vie avec un autre. L’enfant en veut à son père d’être parti, croit-il, pendant plusieurs années sans donner de nouvelles.

Ben tentera par tous les moyens de reconquérir la confiance et l’amour de son fils. Dût-il sortir à nouveau des clous, prendre des risques, se mettre à dos son nouveau patron, braver les interdits de la mère. Rien n’est trop beau pour faire briller à nouveau les yeux coléreux de sa progéniture. De cadeaux maladroits en inadéquats présents, Ben cherchera à amadouer cet enfant qui s’est lui aussi construit une vie sans lui. Il faudra faire sauter ses défenses, retrouver l’accès au cœur, réassurer une fonction parentale.
Heureusement, pour combler la solitude du quotidien, pour l’encourager dans sa quête de paternité, il y a ses nouveaux amis emmenés par Mustapha (Walid Afkir), prédicateur intégriste, qui va mener un endoctrinement d’autant plus facile que Ben s’est converti à l’islam en prison et est complètement paumé en termes de réinsertion. Un terreau de choix pour faire germer le sentiment d’injustice et de haine, tout en offrant l’épaule compatissante du « frère » à cette âme perdue qui se heurte à tous les coins de la vie.

Le film n’est pas pour autant un brûlot sur la radicalisation religieuse. Guérin Van Den Vorst, qui signe à la fois la scénarisation et la réalisation du film, insiste sur ce point. Le processus de radicalisation – car le film prend la peine de montrer que c’est avant tout un processus – constitue évidemment un élément narratif important, mais il n’est pas le sujet premier du film. D’ailleurs, à l’origine de ce premier long métrage, il n’y a qu’une idée dans la tête du scénariste-réalisateur : raconter l’histoire d’un père sortant de prison et essayant de renouer avec son fils. C’est cette relation-là que le jeune cinéaste avait à cœur d’explorer, inspirée de faits qu’on lui avait racontés. C’est plus tard dans le processus d’écriture, lorsqu’il a fallu intégrer la relation père-fils dans une réalité sociale, que s’est imposé le versant intégriste, sans pour autant verser dans la dénonciation ou la posture sociale.
Il est en effet tout à fait crédible que Ben se soit converti à l’islam en prison. Tout comme il est compréhensible qu’il cherche dans la religion à combler les vides que ne colmate pas la réinsertion, quitte à fréquenter pour ce faire les mauvaises personnes. Cela commence par un ancien congénère pénitentiaire, qui traîne déjà avec le prédicateur, un match de foot, une invitation à boire le thé, quelques prières communes, somme toute ce après quoi courrait n’importe quel cœur esseulé. Puis, après les prières, viennent les discussions, l’implication caritative, les reportages qu’on nous cache à propos de la Syrie, le réconfort quant aux droits qu’il a sur son fils.

C’est une des forces de ce premier long métrage de Guérin Van Den Vorst, un scénario ciselé, extrêmement bien ficelé et d’une finesse à toute épreuve, qui aura demandé quatre ans de maturation, et une série de recherches sur les différents thèmes abordés. On sent le film documenté, sonnant juste, sans trébucher sur un sujet qui d’emblée apparaît « touchy ». Les gestes précis du culte musulman sont étudiés, le réalisateur ayant pris soin de s’entourer d’experts en tout genre, allant des hommes de religion impliqués dans la société à Saliha Ben Ali, fondatrice de l’asbl S.A.V.E. Belgium et héroïne du film documentaire de Jasna Krajinovic, la Chambre vide, ou la douleur d’une mère ayant perdu son fils parti combattre en Syrie.
Il en va néanmoins avant toute chose de la description d’un homme luttant contre des vents peu favorables pour regagner un semblant de vie et de fonction parentale. Cet homme, porté par un Vincent Rottiers toujours aussi magnétique, dirige toutes ses forces vers la reconquête de son fils, interprété par un Simon Caudry en phase avec son géniteur de fiction, ce qui ravit le réalisateur.
Un premier film extrêmement prometteur, profondément humain et respectueux des sujets abordés avec intelligence.
À suivre, donc.
L'auteurSiham Najmi
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