critique &
création culturelle
Les jeux de Greta Gerwig
dans Les Filles du docteur March

Avec un casting impressionnant, Greta Gerwig apporte une dimension nouvelle au célèbre roman de Louisa May Alcott, Les Quatre Filles du docteur March , et le remet au goût du jour.

Réputé comme un classique de la littérature américaine, l’autobiographie romancée de Louisa May Alcott Les Quatre Filles du docteur March a fait l’objet d’une énième adaptation au cinéma. Son affiche semblait prometteuse rien qu’à vue d’œil. Un film qui présente dans les rôles principaux des acteurs tels que Emma Watson, Meryl Streep et les nouvelles étoiles montantes d’Hollywood Timothée Chalamet et Saoirse Ronan : on s’attend d’emblée à ce qu’il soit grandiose. Les attentes étaient donc élevées concernant l’actualisation du roman par la réalisatrice Greta Gerwig, qui nous avait déjà proposé en 2017 le long-métrage poignant Lady Bird . Pour ma part, je peux dire que le défi est réussi cinématographiquement mais n’ayant pas lu le roman, je ne peux me prononcer véritablement sur la fidélité de l’adaptation.

Les Filles du docteur March raconte la vie de quatre jeunes filles qui vivent seules avec leur mère, leur père étant parti aider les nordistes durant la Guerre de Sécession. Issues de la classe moyenne, elles vont devoir affronter certaines difficultés durant cette période, non seulement liées à l’hiver rigoureux mais bien entendu à celles propres au temps de guerre. Chacune de ces quatre sœurs détient une passion propre à elle ; l’aînée, la raisonnable Meg, a un don de comédienne, l’intrépide Jo vit pour l’écriture, la douce Beth passe la plupart de son temps derrière son piano, et la petite dernière, Amy, quant à elle, rêve de devenir une grande peintre à Paris. La rencontre avec leur voisin Laurie bouleverse leur quotidien et celui-ci est très vite entraîné dans les aventures de la famille. D’apparence légère, le film dépeint les étapes les plus importantes de leur vie d’adolescentes à leur vie d’adultes.

Le discours est construit sur base d’une tension continue entre présent et passé autour d’une protagoniste : Jo. On suit également le quotidien de ses sœurs mais les scènes sont plus courtes. On assiste ainsi au combat de Jo pour être publiée et reconnue pour ses talents d’écriture, contrainte à plusieurs reprises à changer des passages de ses romans qui ne sont pas considérés assez intéressants pour l’époque. Son œuvre finale, Little Women , résume sa vie, ce qui explique les nombreux allers-retours entre présent et passé. Ce procédé technique donne une dimension presque métafictionnelle au film. Nous, spectateurs, nous demandons tout le long du film si nous sommes en train d’assister à sa vie et donc à l’élaboration de son roman ou si nous y sommes immergés. La fin en elle-même laisse planer un léger doute, ce qui semble signifier que cet effet était bien voulu par la réalisatrice.

Le point fort du film concerne l’utilisation des tenues, lesquelles reflètent le caractère des personnages. Rien n’est laissé au hasard, que cela concerne les personnages secondaires ou principaux.

Jo est ainsi très souvent vêtue d’habits aux traits masculins. Dans ses pièces de théâtre, les seuls personnages qu’elle désire incarner et à qui ressembler sont des hommes. Elle souhaiterait prendre soin à elle seule de sa famille et récolter l’argent à sa façon, grâce à ses écrits. Le mariage et l’amour ne font pas partie de ses intérêts. Elle préfère être libre plutôt que d’être conditionnée. Ainsi, la plupart du temps, ses habits reflètent ce à quoi elle aspire. À certains moments, on pourrait presque les attribuer à des tenues de soldats ou de paysans. Elle a une manière de penser et d’agir très révolutionnaire et féministe, ce qui pour l’époque était très peu commun pour une femme.

Dans les flashbacks du film, Amy est vue comme une chipie, une enfant assez turbulente qui aime être au centre de l’attention. Elle s’attire les foudres de ses sœurs, particulièrement de Jo, mais également de ses professeurs. Cependant, cette tension entre passé et présent sert à montrer son évolution, sa rédemption. C’est également ce à quoi font référence ses vêtements. Plus jeune, elle s’habille de manière plus simpliste, enfantine tandis que lorsqu’elle est à Paris, on la voit vêtue d’habits plus conventionnels mais également plus chics. Elle n’est plus l’enfant faiseur de troubles qu’elle était avant et a appris que la place de la femme dans la société ne dépend que de son mari et qu’elle doit être belle pour lui et lui convenir. Ce sont les idéaux auxquels elle tend pour avoir la place qu’elle désire, bien qu’elle soit opposée à ces conceptions dépassées.

Meg a une âme romantique et, contrairement à sa sœur Jo, croit dur comme fer dans les histoires d’amour. Elle est très féminine et assez coquette. Très souvent, des fleurs sont brodées sur ses robes, qui restent dans les teints de rose-lavande ou de vert surtout durant son adolescence. Lorsqu’elle se marie et s’appauvrit, elle est contrainte à changer et à accepter un nouveau style vestimentaire sans trop de fioritures. Meg a tendance à faire trop attention à ce qui se dit sur elle. Elle souhaite plaire par son apparence et sa gentillesse et pour cela, se laisse fréquemment influencer.

Beth, quant à elle, est dépeinte avec un style simpliste qui renvoie à son humilité et à l’empathie qu’elle témoigne envers autrui. Il s’agit d’une fille d’une grande douceur et d’une timidité qui la pousse à rester en dehors des conflits. Ses robes sont souvent brunes ou roses ce qui rappelle son côté discret. Beth reste généralement en dehors de la scène, privilégiant le bonheur de ses sœurs au sien, ce qui pourrait expliquer également l’aspect sobre et minimaliste que l’on retrouve dans ses habits.

Tante March, interprétée par Meryl Streep, est aux antipodes de ce que représente ses nièces. Vêtue toujours de robes qui représentent les valeurs de son époque c’est-à-dire l’époque victorienne, elle a un caractère très conventionnel qui fait écho à la période qu’elle dépeint. Leur couleur sombre souligne son côté austère et aigre. Que ce soit mentalement ou physiquement, son opposition par rapport à sa famille renforce le caractère anticonformiste des sœurs March.

Dans Les Filles Du docteur March , on retrouve une idée du renouveau qui s’illustre par la prestation des actrices. Là où dans les anciennes adaptations, le côté plus stéréotypé des personnages était renforcé, on retrouve dans cette nouvelle production des personnages avec des qualités et des défauts, ni trop blancs et ni trop noirs. Amy qui était auparavant presque détestée au vu de son caractère enfantin, est désormais globalement appréciée par les spectateurs grâce à l’interprétation qu’en fait Florence Pugh. Dans une interview, celle-ci déclare avoir refusé de portrayer Amy comme la méchante de l’histoire, désireuse de lui donner une nouvelle image. Laurie, incarné par Timothée Chalamet, donne au film une impression de jeunesse comparé à ses prédécesseurs et incarne parfaitement l’idée du garçon bohème. On retrouve également des qualités dans le personnage de Meryl Streep, Tante March, qui malgré son caractère sévère et parfois méchant, a droit à des moments remplis de douceur.

Même rédacteur·ice :

Les Filles du docteur March

Réalisé par Greta Gerwig

D’après Les Quatre Filles du docteur March de Louisa May Alcott

Avec Saoirse Ronan , Timothée Chalamet , Emma Watson , Meryl Streep

États-Unis, 2019

135 minutes