En devenant la première femme scénariste pour un film d’animation Disney, Linda Woolverton s’est donné pour mission de créer une héroïne proactive et indépendante, qui corresponde aux femmes de son temps. Retour sur la carrière de celle qui a changé le destin des héroïnes Disney. 

À la fois scénariste, productrice, auteure et dramaturge, Linda Woolverton étudie les arts de la scène avant de monter sa propre compagnie de théâtre pour enfants. Elle devient ensuite chargée de développement pour la chaîne américaine CBS, où elle écrit son premier roman, Star Wind, pendant ses pauses déjeuner. En 1984, elle quitte son travail pour se consacrer pleinement à l’écriture. Après la rédaction d’un deuxième roman, elle écrit pour de nombreuses séries animées télévisées comme Star Wars Ewoks ou Tic et Tac, les rangers du risque. Mais l’auteure se lasse bientôt de la télévision et souhaite travailler pour Walt Disney Animation Studios. Elle se rend en 1987 aux studios de Burbank et y dépose une copie de son livre, demandant à une secrétaire de « le donner à quelqu’un à lire ». Deux jours plus tard, Jeffrey Katzenberg, à la tête des studios Disney, lui propose un entretien. 

Woolverton est engagée pour écrire le scénario de La Belle et La Bête, devenant ainsi la première femme scénariste d’un film d’animation Disney. Ayant grandi avec les mouvements féministes des années 70, elle a conscience de la nécessité de faire évoluer le statut d’héroïne Disney, et de créer un personnage qui parle aux petites filles et aux femmes de son époque. Les aînées de Belle (Blanche-Neige, Cendrillon, Aurore), entre ménage et attente du prince charmant, ne sont en effet plus vraiment à donner en modèle aux petites filles… Si Ariel montre timidement la voie en étant plus affirmée et aventureuse, ses motivations restent centrées sur la quête de son bien-aimé. 

La scénariste souhaite donc faire de Belle une héroïne proactive, une intellectuelle, qui se différencie de ses aînées par sa force de caractère. Surtout, la scénariste veut lui donner d’autres ambitions que celle d’attendre l’amour : Belle ne rêve pas d’un prince, mais d’aventure.

Dans une équipe à l’écrasante majorité masculine, elle se bat pour imposer ses choix scénaristiques. Les animateurs ne respectent souvent pas ses indications lors de la mise en images du scénario, et changent même parfois ses dialogues sans la consulter. Elle retrouve par exemple Belle aux fourneaux au début d’une scène, alors qu’elle l’avait décrite en train de mettre des punaises sur une carte du monde en rêvant de voyages. L’utilisation même d’un scénario est source de tensions au sein de l’équipe, les animateurs étant alors habitués à travailler à partir de storyboards1. Malgré tout, la scénariste défend bec et ongles sa princesse, et le public lui donne raison : La Belle et la Bête rencontre un immense succès à la fois critique et commercial, et entre directement au panthéon des classiques Disney, devenant le premier film d’animation nominé pour l’Oscar du meilleur film. 

Si les personnages féminins n’ont pas attendu Linda Woolverton pour prendre la parole au cinéma, on lui attribue souvent le lancement d’une ère de « strong female characters », ou personnages de femmes fortes, dans les films Disney des années 90. En effet, les princesses « deuxième génération » – Belle, Jasmine, Pocahontas, Mulan – et toutes celles qui ont suivi se différencient de leurs aînées par leur force de caractère et leur statut d’héroïnes actives, prenant le contrôle de leur destin. 

Woolverton poursuit sa contribution à cette deuxième vague de princesses en participant au développement d’Aladdin et à l’écriture du Roi Lion et de Mulan. Elle revient ensuite à son premier amour, le théâtre musical, en adaptant La Belle et La Bête pour Broadway ; le show deviendra la première comédie musicale Disney d’une longue série. Pour cette adaptation, elle sera nominée pour un Tony Award. Elle co-écrit également le livret d’Aida, production originale de Disney pour Broadway.

Une dizaine d’années plus tard, elle revient chez Disney pour écrire Alice au Pays des Merveilles, adaptation en prise de vues réelles par Tim Burton. On y retrouve une Alice plus âgée, plus charismatique aussi, qui rêve plutôt d’aventures en mer que du mariage qu’on veut lui imposer. Un ressort scénaristique qui, en 2010, commence peut-être à manquer d’originalité. Cependant, cette nouvelle Alice et l’univers 100% Tim Burton créé autour d’elle attirent les foules dans les salles de cinéma. Le film rapportera plus d’un milliard de dollars de recettes, et par conséquent un nouveau titre pour Linda Woolverton : celui de la première - et seule à ce jour - scénariste féminine avec un « billion-dollar movie » à son actif. Ce record montre à toute la profession qu’une protagoniste féminine peut triompher au box-office.

C’est suite à ce succès phénoménal que Disney se lance toutes voiles dehors dans les adaptations en prise de vues réelles de ses classiques, allant de la copie conforme à la réécriture originale. La scénariste penche pour cette deuxième option, en s’attaquant en 2014 et 2019 à une méchante emblématique : Maléfique. Le choix du point de vue de la méchante semble avisé, Maléfique étant le seul personnage réellement charismatique du film d’animation original. Ce parti pris permet de donner à une histoire connue de tous une fraîcheur nouvelle, à condition toutefois d’accepter une méchante qui ne l’est plus réellement… En effet, pour rendre le personnage attachant aux yeux du public, on lui donne un passé et des motivations qui justifient ses actes. 

On ne peut s’empêcher de voir ici le lancement d’une deuxième tendance, entre autres, par le travail de Woolverton : Disney a compris que les méchants sont souvent les personnages les plus charismatiques, et mise largement sur les vilains de son écurie. Citons par exemple la série de romans Disney Villains, la trilogie à succès Descendants ou encore le dernier né des studios, Cruella. Plus qu’une méchante, Maléfique, c’est aussi une réappropriation du symbole de la sorcière. Depuis les années 60 en effet, les mouvements féministes se sont réapproprié l’image de la sorcière comme une représentation de la femme indépendante, libérée des injonctions à l’éternelle jeunesse, au mariage et à la maternité. Les personnages de « gentilles » sorcières se sont depuis fait une bonne place dans la pop culture (Hocus Pocus, Sabrina l’Apprentie Sorcière...), et Maléfique, bien qu’étant plutôt définie comme une fée, entre pleinement dans cette continuité.

Le « strong female character » semble aujourd’hui être devenu un incontournable au cinéma, et dans la représentation des personnages féminins, Disney a pris une nouvelle direction : l’archétype de la guerrière solitaire. Des héroïnes comme Mérida (Rebelle), Rey (Star Wars VII-VIII-IX) ou Raya (Raya et le Dernier Dragon) sont de purs produits de cette tendance. Ces héroïnes se caractérisent principalement par leur force, tant physique que de caractère. Et contrairement à leurs aînées des années 90, il n’y a bien souvent plus de prince en vue. Si ces nouveaux personnages restent des modèles de courage et de détermination, on peut regretter un défaut d’authenticité qui rend la projection plus difficile. Selon Woolverton, la tentation est grande de simplement remplacer un protagoniste masculin par une femme et lui mettre une épée en main. Le prochain défi de Disney sera sans doute de donner à ces nouvelles guerrières un caractère, un charisme et une façon d’agir qui les définissent au-delà de leur force.

« It means somebody who is proactive in their world, who affects their world, isn’t a victim, even victimized by it — or if they are victimized by it, they take action to change that for themselves. They look at the world in interesting ways, maybe another way than the culture does. That makes a strong woman if she’s vocal about it or even goes about trying to make change without being vocal about it. There are so many interesting ways to describe women besides just strong, even this pure difficult strength. It’s strong-willed.2 Linda Woolverton pour IndieWire

Chacun de nous a sa princesse Disney préférée. Qu’elle soit plutôt cuisinière hors pair, insatiable lectrice ou imbattable à l’épée, l’héroïne Disney demeure à la fois un modèle pour les enfants d’une génération et un reflet du féminisme de son époque. De la parfaite ménagère à la guerrière sans peur en passant par la puissante magicienne, un long chemin a été parcouru, dont Linda Woolverton a souvent montré la direction dans ses œuvres. Et pour créer à l’avenir plus de personnages féminins diversifiés, authentiques et justes, on ne peut que lui donner raison : il lui faut plus de compagnie féminine au panthéon des scénaristes.


  1. « Suite de dessins correspondant chacun à un plan et permettant (lors de la préparation d'un film) de visualiser le découpage » (Larousse). À l’inverse, un scénario est un document écrit. 

  2. « Cela signifie quelqu’un qui est proactif dans son monde, qui influence son monde, n’est pas une victime, même en étant victimisée par celui-ci - ou si elle est victimisée par celui-ci, qui agit pour changer sa situation. Elle regarde le monde d’une façon intéressante, peut-être d’une autre manière que celle de sa culture. C’est ce qui fait une femme forte, elle s’exprime, ou même essaie de changer les choses sans s’exprimer. Il y a tellement de façons intéressantes de décrire les femmes au-delà de leur force, même une force pure et difficile. Il s’agit de la force de volonté. » - Traduction de l’auteure »