Matthias et Maxime est le huitième film de Xavier Dolan. À trente ans, le réalisateur prodige signe une œuvre qui lui ressemble, la maturité en plus. Les fans reconnaîtront cet univers coloré, intime et mélancolique qui leur plait depuis dix ans à travers une prose en images qui célèbre l’amitié.
Jeudi soir, ouverture du Pink screen. Pour une fois, je suis première dans une file de futurs déçus : tout le monde ne pourra entrer dans la salle de cinéma. Premier jour de festival oblige, le cinéma est bondé, envahi par une faune hétéroclite et joyeusement bruyante. La dix-huitième édition proposée par Genres d’à côté est un des meilleurs cadeaux du mois de novembre, qui a définitivement soufflé sur les soleils d’étés. Je ne sais pas si je trépigne d’impatience ou si c’est le froid qui me fait sautiller ainsi. Je reconnais quelques visages entre les vendeurs de cigarettes à l’unité, de flacons de gin et de capotes qui déambulent en fières reines dans la foule indisciplinée d’habitués ou de badauds.
Enfin, après une bière dans le fameux bar en sous-sol du Nova, il est temps de prendre place. Discours et applaudissements de circonstances, puis enfin, le film commence. Tout de suite, nous sommes happés dans l’univers particulier du cinéaste précoce, qui nous embarque dans l’intimité de son groupe d’amis. On redécouvre la campagne québécoise qu’il sublime dans tous ses films, les paysages leur donnant toujours cette part de douceur, de lenteur comme un vers chuchoté.
Matthias et Maxime c’est d’abord l’histoire de deux vieux amis, quasiment frères, qui doivent s’embrasser pour les besoins d’un court métrage. Stupide pari : « C’est qu’un film et je ne voulais même pas le faire » dira Matthias, en pleine crise existentielle. Ce baiser bouscule les certitudes des deux jeunes hommes qui perçoivent, dans la gêne qui s’installe entre eux, les spectres du désir qu’on s’interdit et d’un amour qu’on retient. Matthias est grand, beau, arrogant et marié. Tout semble réussi à ce jeune cadre dynamique promis à une brillante carrière. En fait, on dirait que les Cow-Boys Fringants parlent de lui dans le premier couplet des Hirondelles : « Quand on le voyait, il était parfait, il avait la vie dont les gens rêvaient, une famille charmante et une entreprise plus que florissante ».
Maxime, quant à lui, vit une situation familiale conflictuelle : ignoré par un frère absent, il s’occupe seul d’une mère malade et amère. Il pense à l’Australie comme échappatoire, un voyage de deux ans pour fuir tout ça. Heureusement qu’il y a les copains, cette famille de substitution qui se rassemble régulièrement et dont se dégage, entre les quolibets en joual, énormément de bienveillance.
Je n’ai pas vu Ma vie avec John. F. Donovan , mais Matthias et Maxime est probablement le meilleur film de Xavier Dolan. C’est vibrant, sensuel, touchant, accessible et beau à voir. C’est du talent avec dix ans de plus. C’est un film pour célébrer l’existence et l’amitié. Il fait la part belle à une bromance qui se révèle fascinante, avec quelque chose de prude, brut et intense.
Chacun peut se reconnaître dans les éclats de rire et les éclats de voix. On est invité dans l’intimité des personnages qui n’en manquent jamais une quand il s’agit de se vanner les uns et les autres. L’intimité, cette invitation à l’immersion presque voyeuriste faite par le biais d’une caméra sur l’épaule.
C’est aussi un film sur la trentaine, de quoi rassurer une génération. Une tranche d’âge flamboyante durant laquelle on a un peu vécu mais en ayant encore des choses à attendre de la vie. « C’est ça avoir trente ans, avoir encore le temps ». C’est avoir la flamme sans la fébrilité en somme, et encore quelques certitudes à perdre. On retrouve tout de même plusieurs générations dans ce film et sans qu’il n’y ait de conflits à cet égard, on se rend compte qu’on est tous le vieux de quelqu’un ; qu’un jour on sera dépassé et remplacé par d’autres mais que la jeunesse est un état d’esprit qui subsiste dans les liens que l’on tisse et qui tiennent la distance, sans perdre haleine.
Encore une fois chez Dolan, le rapport à la mère pour un des personnages principaux, Maxime, est particulier bien que secondaire. À moins qu’il ne s’agisse là d’une blessure profonde qui marque le héros comme cette tache de vin sur la moitié du visage ?
Matthias et Maxime est une ode à l’amour : l’amour des amis, l’amour des parents, l’amour des amants. Que serait un film de Dolan qui ne parle pas d’amour d’ailleurs ? Deux amis comprennent qu’ils sont attirés l’un par l’autre et comme dans tous les Dolan, comme pour beaucoup de relations dans la vie en fait, c’est compliqué. Le jeune québécois filme si justement la violence, la fragilité et la maladresse de découvrir sa sexualité en tombant amoureux mais aussi la solitude de l’attente, du silence et de la résilience. C’est touchant.
L’émotion bat aussi au rythme de l’excellente bande originale. De quoi fédérer une salle entière, invitée à cette fête et à nouveau envoûtée.