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création culturelle
Open Culture met en ligne 1 150 films

Alerte, on arrête tout ! (Très juste, c'est déjà fait...) Le site Open Culture vient de lâcher une véritable bombe en déballant près de 1 150 films disponibles gratuitement en ligne.

En recensant des milliers de liens disponibles en ligne , le site de Open Culture réjouira les cinéphiles confinés et déconfits. Plus d'accès aux salles obscures, la moitié de votre dvdthèque est certainement déjà passée à la trappe. Et vous êtes probablement en train de faire imploser l'algorithme Netflix, évoqué par Victor-Emmanuel Boinem dans son article sur Uncut Gems , déjà à bout de souffle pour vous imposer son catalogue.

Histoire et intimité

Grâce à la base de données d' Open Cutlure , on peut entrer dans les fondements de l’histoire du cinéma avec le célèbre L'Arrivée d'un train en gare (1896) des frères Lumières ; les premiers blockbusters Naissance d'une nation ( The Birth of a Nation , 1915) et Intolérance (1916) de David W.Griffith ; le premier documentaire Nanook l'esquimau ( Nanook of the noorth, 1922) réalisé par Robert Flaherty ; ou encore L'homme à la caméra ( A Man with a Camera , 1929) de Dziga Vertov. Ces films pionniers du 7ème art ont chacun contribué à l’élaboration du langage cinématographique que nous connaissons et consommons tous les jours. Citons également Fritz Lang, largement présent avec sept films (!) dont les plus célèbres, Metropolis (1927) et M le Maudit (1931).

Outre les fondements du cinéma, le site propose une sélection extrêmement vaste s'étalant des vues des frères Lumières à la dernière réalisation de Michel Gondry, filmée intimement via son Iphone (l'écart n'est finalement pas si grand qu'il n'y parait). On peut ainsi littéralement choisir d'entrer dans l’intimité des cinéastes et artistes en découvrant de nombreux documentaires et autres projets avortés. Ces précieux documents permettent de mieux pouvoir aborder les œuvres, de cerner l'homme derrière l'artiste en considérant ses forces, ses doutes, ses complexes, ses croyances... On peut retrouver en vrac :

Le premier film de Quentin Tarantino, My Best Friend's Birthday (1987), inachevé à cause d'un incendie pendant le montage ;

un dialogue de huit parties entre Fritz Lang et Jean-Luc Godard, Le dinosaure et le bébé (1967) ;

une rencontre entre Jean-Luc Godard et Woody Allen, Meetin’ WA (1986) ;

un documentaire sur les nombreux travaux inachevés de Stanley Kubrick, A Look Behind the Future (1966) ;

deux documentaires sur la vie des célèbres écrivains H.P. Lovercraft ( Fear of the Unknown , 2008) et Jorge Luis Borges ( Profile of a Writer , 1983) ;

une série de 52 mini-interviews de Charles Bukowsky, réalisées par Barbet Schroeder ( The Charles Bukowski Tapes , 1987) ;

un regard sur la carrière d'Alfred Hitcock, The Men Who Made the Movies: Hitchcock (1973) ;

Gus Van Sant mettant en scène l'écrivain controversé William S. Burroughs, Thanksgiving Prayer (1988) ;

un reportage en quatre parties sur le prolifique réalisateur Hayao Miyazaki, cofondateur des studios Ghibli ( 10 Years with Hayao Miyazaki , 2019) ;

des documentaires musicaux sur les Ramones, Blondie, The Dead Boys ( Blitzkrieg Bop, 1978), Led Zeppelin ( A To Zeppelin: The Story Of Led Zeppelin, 2004) ; David Bowie ( David Bowie: Sound and Vision , 2002) ;

un (très) court métrage sur le légendaire bluesman Robert Johnson, The Legend of Robert Johnson (2011), illustrant le mythe de son pacte avec le diable.

Focus sur trois films

Au-delà de la mine d'or historique et biographique mise en ligne par Open Culture, il est également possible de tomber sur des perles oubliées, voire méconnues. Voici une sélection éclectique de trois films qui peuvent être perçus comme témoins de leur génération respective :

  • The Seashell and the Clergyman (40min, 1928, Germaine Dulac)

La Coquille et le clergyman est considéré comme le premier film surréaliste réalisé dans l'histoire du cinéma. Écrite par Antonin Artaud, cette histoire fantasmée d’un clergyman sexuellement frustré se trouve totalement défaite des conventions de narration classique. Il s'agit même clairement d'un cinéma anti-narratif, dans le sens où ce sont les relations de cause à effet elles-mêmes qui sont abattues.  Germaine Dulac transpose au cinéma les codes prévalents en poésie et en peinture : refus d'une esthétique académique, de tous principes moraux, manifestation d'une fantaisie onirique, d'un humour sans scrupules et cruel, d'une confusion délibérée du temps et de l'espace. Ce film opère définitivement un tournant dans la conception du cinéma et de nombreux artistes suivront ce mouvement notamment avec Salvatore Dali et Luis Bunuel, et leurs célèbres Un chien Andalou (1929) et L’Âge d’Or (1930) .

  • Driller Killer (1h32, 1979, Abel Ferrara)

Driller Killer intervient dans un contexte où le cinéma d'horreur connaît une période de grande évolution. La dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972) continue de marquer les esprits, Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) ne cesse de faire des victimes, La Colline à des yeux (Wes Craven, 1977) vient de débarquer, Maniac (Frank Lustig, 1980) pointe le bout de son nez. Bercé par ce climat anxiogène, Abel Ferrara décide de mettre en scène le délire hallucinatoire progressif  d'un peintre qui peine à nouer les deux bouts. Il va progressivement sombrer dans la folie et faire basculer le récit dans la violence et le gore. Ce film est le pur produit de son époque, avec le portrait d'un artiste sans reconnaissance, développant des pulsions (auto-)destructrices. La part d'implication de Ferrara dans le film est énorme, allant jusqu'à s'attribuer le rôle principal (crédité sous le nom de Jimmy Laine). Il tourne dans son New-York natal, mettant en avant une culture de la marginalité, de la décadence, mêlée à des fulgurances épileptiques et à une musique punk. L'horreur prend le temps de s'installer et s'enclenche de manière frontale, sanglante et délirante (la scène de crucifixion à la mèche). Loin d'être le modèle du genre, Driller Killer reflète parfaitement la place grandissante du mouvement horrifique des 70's, tout en étant le représentant d'une société ultra-productive et paranoïaque.

  • Fight for Your Right Revisited (30min, 2011, Adam Yauch)

Pour célébrer les 30 ans du clip de (You Gotta) Fight for Your Right (To Party!) des Beastie Boys , le rappeur et membre du groupe Adam Yauch réalise une vidéo complètement barrée, mêlant séquences musicales et scénarios loufoques. Faisant suite au scénario du clip original, on retrouve les Beasties qui vont dévaliser un drugstore, se shooter avec des prostituées et faire du breakdance. C'est l'occasion de voir défiler Seth Rogen, Elijah Wood, Jack Black et d’autres figures connues, rendant un vibrant hommage à toute l'insouciance d’une génération emblématique (effets visuels et codes sociaux) et d'un groupe précurseur (le flow et le style Beastie Boys ). Le film semble d'autant plus empreint de nostalgie depuis le décès de Yauch en 2012.

« Fight for Your Right Revisited » Adam Yauch, 2011

N’hésitez pas à prendre le temps de farfouiller dans l’ensemble des films repris sur Open Culture , en vous préparant néanmoins à quelques déceptions (la catégorie Tarkovsky renvoie vers des liens privés…). La richesse du site reste incontestable et permet à l’utilisateur d'établir intuitivement des connexions entre les cinéastes et les oeuvres, en parcourant l'histoire du cinéma. On jongle entre Méliès, Cronenberg, Murnau ou Hitchcock, ce qui renforce clairement un enthousiasme qui n’est plus à cacher. Alors, rangez votre télécommande et établissez un nouveau camp de base autour de votre ordinateur !

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