Léon, le tailleur de la place de la République, à Montreuil, vous vous souvenez ? Le revoilà : sa blouse blanche, tachée. Ses mains sales de travailleur bordelique. Sa retoucherie, comme des limbes où flottent des morceaux de tissu, de manteaux, de robes et de pantalons qui, peut-être, un jour, reviendront à la vie… ou jamais.

Alors, qu’est-ce que tu lis, comme poète ?

Rimbaud, le fils.

Rambo ! C’est sur les Juifs ?

Non, sur Arthur Rimbaud.

C’est qui, ça ? Un Juif ?

Non… un poëte.

Ta veste, elle est pas encore prête : j’ai été malade comme un chien. T’as pas vu que la boutique était fermée ?

Non, j’habite plus dans le coin.

T’habites où ? Tu as déménagé ?

A Bagnolet, depuis le début de l’année, en septembre.

Le début de l’année, c’est janvier, pour moi.

Tu me rends fou, avec cette veste.

Tu l’auras, t’inquiète pas, fais-moi confiance…

J’ai entendu sur Radio J : il y a un nouveau film sur la Shoah qui va sortir, grandiose !

C’est quoi, le titre ?

Je sais pas, je me souviens jamais des titres, c’est une actrice… il va sortir sur art.

Art ? « Arte » ?

Oui, là-dessus. Sur le site. Je comprends rien.

C’est quoi, le titre, tu peux pas te rappeler ?

Non, je ne me rappelle plus… Tu peux me rendre un service ?

Tu peux me rendre ma veste ?

Il suit son client le plus fidèle jusqu’au seuil de la petite boutique, voisine de l’ORT, place de la République, en riant à gorge déployée. Avec sa blouse blanche, sa bouche charnue, ses mains énormes et tachées, ses yeux qui parlent une langue incompréhensible de rêves et de fils entremêlés. Et les gens dans la rue le regardent rire, comme s’il était fou, ou Rambo… C’est trop beau ! C’est trop beau ! mais c’est nécessaire.