L’Île quimboiseuse de Morgane Eeman
Une île, un quartier, Paceville, où l’on se perd, où l’on se grise à coup de vers . Roman-poème de Morgane Eeman, L’Île quimboiseuse explore les hommes, les femmes et les lieux hétéroclites d’une île au pouls ensorcelant.
L’Île quimboiseuse 1 est le récit poétique d’une errance, celle de Mist, héroïne apatride, qui relate, munie d’une verve opiacée, ses jours et ses nuits, entre l’école où elle apprend l’anglais, les rues qui serpentent, qui bordent la mer, et les clubs de l’île, où s’enivrent, s’échappent et s’emprisonnent les natifs et les échoués-là.
Vous êtes ici
Épinglé sur la carte
Dans les rouages fous
Du myocarde
Vous êtes ici
Fantôme de vous-même
Sombrant dans les fascines
Fossé branché
Rampant le long des fortifications
Fluviatiles
La direction de l’intrigue, d’abord opaque, se précise au fil des pages : c’est pour Mist une quête de liberté, qui l'entraîne à la rencontre d’autres personnages — Diane, Boris, Niklas, Romance...— , la noie dans l’ivresse des vendredis soir, et l’invite à explorer le verbe et ses possibles. Vouloir s'échapper, en vain peut-être.
L’école l’air concentré
Étrangement bourdonne
Pour tenir droite j’imagine
Les murs écaillés comme des poissons crus
Me renvoient cruellement à ce que j’ai un jour cru
Possible
Vernis pilé des piliers chancelant
Chantant la note pour que les corps en chœur suivent
Morgane Eeman a fait le choix d’un lexique riche, qui peut dérouter. Entre son argot, ses vocables usités et ses termes scientifiques, le texte tricote un paysage insulaire où le sens, parfois, échappe. Les sons prennent le dessus, comme si la matière de l’histoire, la matière de cette échappée, n’était plus que cela : une musique verbale. Un style qui, presque entièrement dépourvu de ponctuation, glisse sur le bout de la langue, envoute les papilles. Un goût parfois âpre, qui s'engloutit avec violence ; une douceur parfois qui cajole, enjôle Mist pour mieux la faire sombrer de nouveau.
Paceville
Ouvre grand la bouche
Fais-moi tomber comme la mouche
Que tu prends sans cesse
Fais-moi de tes bassesses
Éviscère-moi
Serre-moi encore
Étouffe-moi dans ma brume
L’Île quimboiseuse hypnotise, égare et déprave les êtres qui foulent ses terres battues par les embruns. Une relation ambiguë, entre le désir de fuite et le sans cesse retour au cœur de la tourmente. Un tourbillon de joies, de peines, d’horreur et d’émerveillement. L’Île quimboiseuse est un poème : l’Île est polysémique, insaisissable, un lieu qui capte, cogite et agite les sens. Et si la recherche de liberté de Mist ballote, elle se repait dans le langage. Île jeteuse de sort ? Maléfice conjuré.