critique &
création culturelle
Romy et Julius
amour entre steak et tofu

Roman de Marine Carteron et Coline Pierré, Romy et Julius réécrit la tragédie de Roméo et Juliette en la modernisant, transposant les amants de Vérone dans un village de France, tendu entre les mœurs traditionnelles et les valeurs apportées par les néoruraux.

Difficile de proposer une complète originalité dès lors qu’on souhaite ré-écrire une œuvre aussi connue que Roméo et Juliette . Néanmoins, Marine Carteron et Coline Pierré parviennent à respecter le carcan de la tragédie de Shakespeare, tout en proposant une histoire moderne, prenante, et qui a le mérite d’évoquer des thèmes actuels : le militantisme, le végétarisme/véganisme, et la question de la souffrance animale. La tension des familles rivales est ici remise au goût du jour grâce à des personnages quelque peu transformés, c’est-à-dire un Roméo/Julius jeune ado végétarien aux parents véganes et néoruraux, et une Juliette/Romy, fille de boucher dont la famille est établie dans la région depuis longtemps. Le roman propose comme l’un de ses fils rouges, et lieu de première rencontre pour les deux héros/héroïne, un atelier théâtre où ils mettront en scène Roméo et Juliette sous forme de comédie musicale.

Nous nous posons sur nos chaises, épaule contre épaule, et lisons chacun de notre côté. J’ai du mal à me concentrer. Le sentir contre moi me fait tout bizarre, comme si la chaleur de son corps tentait de coloniser le mien. Je pourrais bouger, m’éloigner, mais, étrangement, je n’en ai pas envie. Heureusement, nous n’avons pas besoin d’apprendre le texte, nous devons juste être capables de le lire à voix haute sans erreurs et en mettant le ton.

Avec un style simple, fluide, qui alterne en fonction des points de vues adoptés, les autrices nous embarquent dans la tête des protagonistes, les deux ados Romy et Julius, mais aussi quelques personnages secondaires. Chacun a ainsi le mérite d’avoir sa voix propre, son regard, sa nuance ; entre style ado, enfantin, ou plus adulte. Les deux protagonistes principaux, Romy et Julius, avec leurs regards parfois ingénus, parfois criants de clarté, nous captivent dans leurs aléas et drama d’adolescents, entre tendresse, colère, chagrin et amour. Ils ont de plus le mérite de s’éloigner des stéréotypes de genre, loin d’une féminité consensuelle pour Romy, ou de toute masculinité toxique pour Julius. Le personnage d’Allie, la petite sœur de Julius, particulièrement attachante, sort aussi du lot, avec ses zozotements et son don pour détendre l’atmosphère.

Aujourd’hui, j’ai 5 ans. Pour mon joyeuzanniversaire, l’amoureuse de Julius vient manger mon gâteau au chocolat. Moi j’étais pas trop d’accord, déjà que Quinoa et Dory veulent tout le temps piquer ce qu’il y a dans mon assiette, mais Julius a dit qu’elle m’apporterait un cadeau.

Ça a intérêt à être un super cadeau .

S’éloignant quelque peu de la tragédie pour lorgner davantage du côté des teen movies , le roman pèche toutefois du côté de certains personnages secondaires, parfois unidimensionnels, se résumant bien souvent à une fonction au service de l’intrigue : Richard (la brute de l’école), Lucie (la meilleure amie), Océane (la pimbêche). L’originalité de l’intrigue et la nuance des personnages se trouvent ainsi ternies par des procédés narratifs éculés, qui fonctionnent, certes, mais qui auraient pu être évités. On peut comprendre que vouloir respecter le carcan de la pièce originale et suivre de loin son déroulé puisse réduire la marge de manœuvre dans l’écriture des personnages, mais au vu des libertés déjà prises et des directions intéressantes déjà proposées par les autrices, il est dommage de sortir des archétypes de la tragédie shakespearienne pour plonger finalement dans certains clichés présents dans les romans pour ados et dans nombre de teen movies .

On notera aussi que le roman, malgré le fait d’aborder des thèmes comme le véganisme, le végétarisme et la souffrance animale, ne prend pas réellement position, et demeure dans une opposition de points de vue, dont la seule issue possible semble de faire abstraction des sujets qui fâchent pour aller de l’avant. Si le but de l’intrigue, comme dans la pièce originale, est de réconcilier deux mondes, cela ne se fait donc pas via un dialogue de fond sur les mœurs et les valeurs de chacun, en vue d'établir un futur à partager. Et malgré les tentatives de nuances dans les deux camps (les parents véganes de Julius s’éloignent en partie des clichés ; la famille de Romy semble assez ouverte et moins passéiste qu’elle n’en a l’air), certains personnages secondaires, encore une fois, font malheureusement office en partie d’épouvantails (Ayden en activiste forcené ; Richard en carniste buté). Le roman, pour le coup, s’offre une solution de facilité, qui ne fâche personne, mais loupe une réelle opportunité de porter un discours sur les thématiques de la végétalisation de l’alimentation et de la souffrance animale.

— Greg, ça suffit. Laisse-le tranquille. Julius est l’invité de ton oncle et de ta tante. Un hôte, ça se respecte. Et puis ses choix alimentaires ne te regardent pas. On est dans un pays libre, tant que les lois sont respectées, chacun doit pouvoir manger ce qu’il désire. Le sujet est clos.

Malgré certains défauts, Romy et Julius reste un bon roman, plaisant et aisé à lire, qui ne révolutionne pas son matériel de base, mais qui a le mérite de lui apporter une note de fraicheur, ainsi qu’un côté feel good bienvenu. Le livre regorge ainsi de références cinématographiques qui font sourire, de scènes romantiques attendrissantes, de moments parfois burlesques, souvent très fougueux, qui rappellent une adolescence bien souvent mélodramatique. Toutefois, la résolution fragile du conflit, qui passe par une mise sous silence des mésententes et un manque de prise de position claire vis-à-vis de la souffrance animale et de l'alimentation végétal, pourra décevoir les lecteurices familiers de ces sujets.

Même rédacteur·ice :

Romy et Julius

Marine Carteron et Coline Pierré

Éditions du Rouergue, 2020

380 pages