La collection Espace Nord réédite en 2022 deux textes de Laurence Vielle , Zébuth ou l’histoire ceinte , ainsi que L’Imparfait . L’occasion de découvrir ou de redécouvrir les débuts d’une des voix majeures de la poésie francophone belge contemporaine. La rencontre d’une pulsion de vie poétique, qui scande, la peur de cesser au ventre, la joie de vivifier à la bouche.
Difficile d’envisager un texte qui semble d’inspiration biblique lorsque l’on n’en maitrise pas les références, mais heureusement pour moi, Zébuth a une voix propre. On suit ainsi le personnage de Zébuth, amputé de Bêl, qu’il retrouve morte au pied d’une fenêtre ouverte. Le récit en lui-même est une métaphore assumée, nommée, de la vie, perçue dans un premier temps comme un immeuble à étage, et ensuite comme un escalier à paliers, dans et sur lequel Zébuth erre, recherche un Eden final, puis abandonne pour se lancer dans la quête simple, plus concrète, s’actualisant à chaque instant, d’un sens à une vie creuse.
Quand à savoir si l’on remontait, c’était impossible. Comme le « départ » d’une marche se concrétisait par un vide de pensée, de sensation, on ne pouvait affirmer qu’il y avait remontée. On entendait parfois certains victorieux, parce que reconnaissant des êtres qu’ils croyaient avoir quittés par une chute, crier : « je suis monté ». Mais les êtres à côtés d’eux répondaient : « ou bien, sommes-nous descendus ».
L’Imparfait qui suit n’a pas la structure d’une histoire « ceinte », contrairement à Zébuth, mais offre celle d’un recueil en plusieurs parties, scindé en quatre volumes de textes formellement disparates mais dont les significations et les échos demeurent communs. Les thématiques de la mort et du deuil transcendent ainsi tout L’Imparfait , tout en germinant de-ci de-là une volonté de vivre, un vif qui s’épanche dans les mots, la scansion du triste et du joyeux.
bonjour, bonjour
vivre une seconde ou mille ans, c’est la même chose
c’est la même chose chante le vent dans mes oreilles
mais si tu vis plus d’une seconde
tu auras plus de vent dans les entrailles
bonjour bonjour
je bois le vent à grandes lampées
comme me l’a appris mon père
je suis vivant
Dans les deux textes, Zébuth et L’Imparfait , Laurence Vielle manie un langage simple, mais qui évoque des imaginaires variés, se rythmant entre humour, burlesque et sérieux. Les vers ou la prose poétique jouent sur le rythme, la découpe, les répétitions, et on ressent fortement, comme émanant des mots eux-mêmes, leur désir d’être lus à voix haute, l’oralisation de la poésie étant l’une des marques de fabrique de la poétesse et comédienne.
Je suis partie à la Mer du Nord
pour me couler dans le sable
« Mer du Nord » si on inverse les voyelles
ça donne mort du nerf
Hahaha
je ris de me voir si belle en ce miroir
Malgré la simplicité du langage, il demeure une certaine opacité dans l’écriture. Toutefois, si quelques références et significations me sont certainement restées obscures, ma subjectivité de lecteur s’est laissée porter par les sonorités, les phrasés évocatoires, me laissant couler dans les diverses interprétations, mésinterprétations et surinterprétations ; car susciter pleinement la créativité est l’une des forces poétiques des textes qui ne se donnent jamais complètement. On notera néanmoins l’éclairante postface d’Alice Richir, qui permet de comprendre la genèse des textes, leurs publications, ainsi que de donner des pistes de lectures.