critique &
création culturelle
Lichens de Karine Ponties
Où rien ne pousse

Dans le cadre du Brussels, dance! , le Centre culturel Jacques Franck accueillait deux soirs de suite le spectacle Lichens de Karine Ponties . Un lichen, c’est un champignon qui vit où rien ne peut pousser, mais c’est aussi une chorégraphie au croisement du cirque et du théâtre, un moment d’intimité.

Ça m’est venue soudainement, comme ça. Je n’avais jamais été voir de représentations de danse ‒ enfin si, une. Alors j’ai opté pour Lichens sans trop saisir de quoi ça allait me parler. Je dois bien admettre qu’à la fin, je n’avais toujours rien compris et les bribes qu’il me reste en mémoire ne me seront pas d’une grande aide. Il s’est bien passé quelque chose sur scène. Une chose que je ne saurais pas définir. j’ai cherché  le fil rouge sans le trouver. Pourtant, j’ai l’impression d’avoir vécu une expérience tout de même.

Je me suis alors rattachée aux corps qui apparaissaient et disparaissaient comme des feux d’artifices, offrant, à défaut d’une histoire  tissée, danses et acrobaties. Les mots se seraient-ils donc effacés derrière les corps ? Ces corps qui se rencontrent, se balancent, se répondent. De quoi leurs mouvements souples, comme une liane taquinée par le vent, sont-ils la métaphore ? Des tableaux se succèdent, on croit y deviner tantôt des extraits de notre actualité, mais notre monde matériel se dissout rapidement dans le flou de l’imaginaire. Le réel et le fantastique se mêlent dans un décor ingénieux et simple qui ressemble à autant de tiroirs qu’on ouvre et qu’on referme.

© Laurent Philippe

Tantôt nous sommes embarqués dans des fonds marins blancs engloutissant des mares de pétrole, tantôt au-dessus de canopées bleues et mutiques. Couleurs, clairs-obscurs, vertiges et quelques traits d’humour donnent une identité singulière à cette performance hors case, portée par des artistes bluffant d’agilité et d’une technicité qu’on oublierait presque derrière la facilité qui se dégage du tout.

Karine Ponties se serait inspirée du célèbre film d’animation soviétique Le Conte des contes de Youri Norstein . Comme Lichens , il s’agit aussi d’une longue balade parmi les vivants, avec la mort jamais trop loin. On la fait à travers les yeux tristes d’un petit loup gris, celui-là même dont parle la berceuse russe qui rythme ce court métrage de 30 minutes. Norstein y décrit la vie vue par ceux à la marge (le loup), ses banalités et ses disparitions. Comme dans la chorégraphie de Ponties, quelques émotions ou bruitages du quotidien trouent le silence : le son du bébé qui pleure ou celui d’une mastication, celui d’un repas auquel on prend plaisir. Dans l'œuvre de Karine Ponties, seuls les sons a priori insignifiants demeurent, s’ajoutant au dialogue des corps.

Mais son spectacle est plus lumineux, pointant davantage vers l’optimisme quand le bonheur chez Norstein est plus ponctuel (danse populaire, insouciance d’un poète qui joue de la harpe et d’une vache qui saute à la corde, points lumineux qui apparaissent et disparaissent comme des portes mystiques vers un autre monde). Peut-être est-ce une fable sur la vie aussi, cette existence qu’on ne comprend que peu et son absurdité, un conte sur l’idée de corps éphémères, incarnations expérimentales.

Même rédacteur·ice :

Lichens

Karine Ponties

Avec Ares D’Angelo, Eric Domeneghetty, Vera Gorbacheva, Liesbeth Kiebooms, Nilda Martinez, Jaro Vinarsky
Une production Dame de Pic / Cie Karine Ponties
70 minutes
Présenté au Centre culturel Jacques Franck les 22 et 23 avril 2022