Adaptation de la nouvelle américaine Saying Goodbye to Yang d'Alexander Weinstein, After Yang , écrit et réalisé par Kogonada, cherche à redéfinir, avec douceur et compassion, ce qu’est l’humanité. Le réalisateur sud-coréen signe un deuxième long métrage de science-fiction, prévu en salles le 30 mars prochain, qui fait heureusement l’impasse sur la science.
Pour les aider à élever Mika, leur fille adoptive d’origine chinoise, Jake et Kyra, comme beaucoup d’autres parents, ont décidé de se procurer un androïde. Le couple achète alors, auprès de l’entreprise Second Siblings, Yang, un techno-sapiens dit « culturel », spécialement conçu pour devenir le frère de Mika et lui permettre de découvrir et d’en apprendre plus sur son héritage chinois. Les années passent et après une défaillance technique, Yang s’éteint, laissant la jeune Mika bouleversée et obligeant Jake à trouver une solution pour le ramener à la « vie ». Allant de réparateur en réparateur, le père de famille plonge ainsi dans le passé et les souvenirs de Yang…
Le trio familial, interprété par Colin Farrell, Jodie Turner-Smith et Malea Emma Tjandrawidjaja nous offre des performances justes et subtilement poignantes. Haley Lu Richardson crève aussi l’écran dans le rôle d’Ada, clone devenue une amie proche de Yang (interprété par Justin H. Min), et qui cherche, tout comme les autres protagonistes, à faire sens de sa mort. Le jeu de Justin H. Min est également particulièrement touchant, faisant contraste avec l’aspect impersonnel et froid que l’on attendrait d’un robot. Il paraît même par moment plus humain que les membres de sa famille.
Au moyen de plans souvent symétriques où les personnages se trouvent au centre, le réalisateur nous fait savoir qu’ils sont le cœur de son histoire. Tout ce qui les entoure est évoqué en surface. On ne compte d’ailleurs qu’un seul plan d’ensemble extérieur, laissant entrevoir une ville à la fois futuriste et familière aux yeux des spectateur·ice·s. Ce plan bref suffit à nous faire comprendre qu’il s’agit d’un avenir assez proche. Mais After Yang ne se la joue pas film de science-fiction grandiose, arborant dans les moindres détails tous les gadgets, outils et technologies, toujours impressionnants, souvent loufoques et parfois inutiles, auxquels ont accès les personnages. Le minimalisme est ici de mise pour laisser place au discours intimiste du film. Ce minimalisme est porté par une esthétique douce et chaude, cassant les codes du genre. À l’aide d’une source de lumière jaune-orangé présente dans chaque scène, Kogonada apporte une forme de chaleur, de convivialité en harmonie avec le propos familial du long métrage. Il aime également laisser les spectateur·ices contempler des détails de la nature, renforçant cette atmosphère calme et accueillante.
Les protagonistes sont toujours filmés dans des lieux intérieurs : la maison familiale, le café du coin, le magasin de réparation ou encore le musée qui souhaite étudier les composants de Yang. Kogonada s’amuse d’ailleurs à faire apparaître ses personnages plusieurs fois sur un même plan ; ils sont souvent reflétés dans une fenêtre, dans la vitre d’une voiture ou dans la vitrine d’un magasin. Seul Yang est montré avec un reflet « pur ». Le techno-sapiens s’admire dans le miroir, l’humanisant encore un peu plus aux yeux de l’audience. Mais finalement faut-il vraiment humaniser Yang ? C’est la question que le réalisateur (se) pose.
Jake, s’adressant à Ada : « A-t-il [Yang] voulu être humain ? »
Ada : « C’est une question tellement humaine. Qu’est-ce qu’il y a de si bien à être humain ? »
Ce questionnement philosophique est soutenu par l’esthétique légèrement mielleuse du film. Par cette invitation à la contemplation et à l’introspection, Kogonada interroge sur ce qui nous rend humain mais aussi sur ce qui fonde nos relations familiales. After Yang s’inscrit ainsi dans un sous-genre particulièrement en vogue depuis plusieurs années ( Westworld, Ex-Machina, Her, Blade Runner ... ), abordant la thématique de l’humanité et de l’empathie chez les machines et par conséquent, les relations que les humains forment avec ces androïdes .
Remettant en question la hiérarchie des espèces qui veut que l’être humain est la seule à pouvoir véritablement « vivre » (au sens de profiter de tout ce qu’offre la vie), After Yang nous amène à porter un nouveau regard sur la nature humaine et les rapports entre les humains et les autres êtres, à observer ces rapports au travers d’un angle bien particulier : celui du lien. Le lien que Mika (et Jake et Kyra) tisse(nt) avec Yang n’est pas si différent de celui qu’iels ont entre elleux. Sa nature influence peu l’attachement que la famille développe à son égard.
After Yang explore ainsi avec sensibilité la coexistence entre les êtres humains et les êtres technologiques. Même si le long métrage n’est pas totalement dépourvu d’alertes sous-entendues sur les dérives de l’intelligence artificielle, il se centre surtout sur notre définition de l’humanité et de la mortalité. Le propos se veut donc beaucoup plus intime et offre une réponse éthique et philosophique plutôt optimiste. L’essence de Yang importe peu, c’est son absence auprès de cette famille que l’on veut comprendre et dont on veut se remettre, tout comme elleux. Mika perd un frère, Jake et Kyra perdent un fils et c’est leur deuil qui fait toute la beauté du film.
On quitte la salle de cinéma comme à la sortie d’une séance de thérapie, dans un état semi-mélancolique, semi-optimiste, le cœur autant lourd que léger, la tête à la fois vide et pleine de réflexions sur la manière dont nous aussi avons vécu ou devrons vivre la perte d’un être proche.