Angus & Julia Stone
Retrouvailles belges sur fond nostalgique
Après presque de 10 ans d’absence, les frangins australiens Angus & Julia Stone ont rempli le Cirque Royal de leur folk sensible et authentique. Un concert suspendu dans le temps, une parenthèse douce et feutrée dans leur living room, avec nos vieux souvenirs.
Les 3 et 4 juin derniers, les frangins Angus & Julia Stone sont revenus sur le devant de la scène belge à l’occasion de leur tournée estivale en Europe, « Living Room Sessions ». Entre leurs intermèdes de folk doux et nostalgique où ils ont chanté le passé et des nouveaux titres, ils se sont confiés sur leur enfance, leur amour fraternel et leur gratitude d’avoir un public aussi fidèle. Retour sur une performance à la fois poétique et intime, dans le salon des artistes.
20h27, l’excitation est palpable dans les gradins rouges du Cirque Royal de Bruxelles qui s’étirent vers des sommets vertigineux. C’est qu’on a dû se battre pour obtenir ses places, parties à une vitesse folle, à un point tel qu’une deuxième date a dû être ajoutée pour rassasier le public belge. Et le vertige ne tient pas qu’à l’organisation spatiale de cet écrin de velours de la capitale. Il est aussi dû au saut qu’on s’apprête à faire quelques années en arrière.
C’est en 2008 qu’on a découvert le duo Angus & Julia Stone, avec la sortie de leur album A Book Like This, qui a marqué tout notre été. Avec ses notes folks, acoustiques, pures et sensibles, le duo évoque tantôt Cocoon, tantôt Cocorosie. Leur pop indie rafraîchissante est enrobée d’influences à la Neil Young (à qui ils vouent un amour profond) et d’harmonica qui signera tout leur patrimoine musical. On est tombé très vite sous le charme du timbre singulier de Julia Stone, à la fois suave et légèrement criard (façon Olivia Merilahti des Do), qui dote le duo d’une identité musicale caractéristique. C’est une voix qui sent le vent et les vagues de l’océan, au bord duquel ils ont d’ailleurs grandi et qui imprègne toute leur musique. On a tourné en boucle « Big Jet Plane » de Down The Way (2010) pour accompagner nos nuits de doutes jusqu’à aujourd’hui (et on n’est loin d’être les seuls puisque ce tube les a propulsés sur la scène internationale pour des tournées mondiales).
Sous nos yeux, des tapis orientaux, des lampes avec abat-jours rétros, du mobilier en bois vintage et des instruments à cordes et à vent. Un salon bohème et démodé, juste ce qu’il faut pour que l’atmosphère y soit chaleureuse. C’est dans ce living room désuet que le duo australien a choisi de nous accueillir, pour donner vie à leur souhait d’intimité et nous jouer leurs chansons « comme si c’était vraiment leur salon ».
20h35, les lumières s’éteignent, avec interdiction formelle de filmer. L’obscurité est totale et on se retrouve téléporté à une ère où le digital n’existait pas (ou presque), dès les premiers accords de guitare sèche de « Santa Monica Dream » tiré de Down the Way. Seules quelques touches de lumière viennent perturber la scène, le public est totalement silencieux. Aucun téléphone n’ose capturer l’instant, c’est envoutant et on sait que ce qui se passe devant nous est précieux. L’atmosphère devient tout à coup confinée malgré l’espace, et l’extrême sensibilité du duo australien imprègne chaque centimètre de la salle, jusqu’au sommet.
Les titres se succèdent (« Losing You », « Yellow Brick Road », « Nothing Else ») avec la même harmonie, entrecoupés d’échanges fraternels qui expliquent leur parcours, leurs souhaits pour la suite, l’affection qu’ils ont l’un pour l’autre. Ils racontent l’importance de la famille, l’influence de leur père qui les a bercé très tôt dans un univers mélomane, étant lui-même chanteur de « toutes sortes de reprises » lors de mariages. Ils avouent d’ailleurs avoir longtemps cru qu’il était à la fois John Lennon et Bob Dylan. Julia ponctue les morceaux d’harmonica, de piano, de trompette, dévoilant l’étendue de ses immenses capacités musicales. Son frère, plus réservé, participe aux discussions quand elle l’y invite et charme le public avec son humour (malgré des histoires parfois un peu répétitives).
On plonge dans un océan de douceur avec « Just A Boy », une des pépites de leur album A Book Like This, sur lequel on a pleuré, rêvé, grandi. Tout le setting est onirique, presque magique avec les luminaires qui tombent du plafond comme des gouttes de pluies multicolores qui encadrent ce salon d’un autre temps. Et le morceau n’a pas pris la poussière. Arrive ensuite « Private Lawns », tiré de leur tout premier EP Chocolates & Cigarettes (2006), dont le choix n’est pas anodin, car c’est un des tout premiers morceaux qu’ils ont écrits, dans leur salon, précisément.
Et parce qu’ils ont voulu créer une ambiance confidentielle, les anecdotes fusent pour introduire la plupart des morceaux. On apprend qu’à côté des bandes sons pour jeux vidéo (« Love Song ») ils ont aussi écrit une chanson pour le mariage d’un couple d’amis, il y a 12 ans, et qu’à leur grande surprise, « The Wedding Song » a fait le tour du monde avant même d’avoir été enregistrée « proprement » en studio, du Pérou à l’Inde en passant par… Bruxelles. Ils saluent d’ailleurs le couple bruxellois présent dans salle qui s’est aussi marié sur cette chanson, qu’ils dédient « à tous ceux qui pensent que l’amour est possible ».
Finalement, de ce concert bien rôdé, musicalement impeccable et tout simplement touchant, on retiendra plusieurs points forts. Le somptueux solo de banjo qui a fait miroiter toute l’ingéniosité des musiciens sur scène autour des frangins. La reprise très délicate du tube de l’été dernier, « Flowers » de Miley Cyrus, tout en subtilité avec Angus qui siffle et Julia qui pose sa voix pleine de fragilité sur une guitare effacée, à peine audible, pour un morceau presque chanté a capella tout simplement magnifique. Le tant attendu « Big Jet Plane » en version plus aérospatiale. La reprise de « Château » ponctuée des sifflements d’Angus qui insufflent fraîcheur et liberté. Et enfin, une reprise sensible du « Harvest Moon » de Neil Young, chanté sur le devant de la scène par tous les musiciens, qui entremêlent leurs voix autour d’un micro, avec pour seul accompagnement deux guitares sèches très discrètes. Une interprétation d’une grande justesse de ce classique de 1992 entendu à l’envi et qui pourtant ne fane pas. On remarque la sublime voix de la batteuse, qui transcende le temps et l’espace. Point final magistral qui clôture ce concert avec quelques frissons.
Le retour aux sources initié par la fratrie australienne est un pari gagnant. L’authenticité a quelque chose d’intemporel et, chez les Stones, de particulièrement touchant. Les grands classiques de leurs répertoire, ceux qu’on a écumé comme « Big jet plane », « Just a Boy » ou « Château » sont toujours aussi savoureux et nous ont emmené quelque part où la nostalgie n’a rien d’amer. Et au passage, on a aussi découvert quelques beaux trésors de leur cinquième et dernier album Cape Forestier sorti en mai 2024 chez Sony, qu’on vous recommande de ne pas bouder. Et qui pourront, assurément, amener un vent de fraîcheur dans vos nuits d’été.