Alors qu’est-ce que ça vaut ? C’est en effet la première question qui brûle les lèvres des fans (donc votre serviteur inclus) lorsqu’on apprend qu’une artiste surtout connue pour sa poésie, sa voix singulière et ses œuvres d’art contemporain décide de prendre en charge l’entièreté du processus de composition musicale. Il s’agit d’un véritable saut où il n’est pas toujours assuré de réussir aussi bien seul ce qui dépendait jusque-là d’une démarche collective.

Mais trêve de suspens, lâchons le morceau pour le laisser gambader joyeusement dans les prairies ensoleillées : le résultat est tout à la fois très étonnant et très prometteur. Étonnant, d’abord, car Sijiang Chen ne se contente pas de reproduire ce qu’elle a connu en compagnie des autres membres de Hiperson. Elle est partie sur une tout autre piste en explorant une veine plus pop, électronique, expérimentale et surmontée d’une petite pincée d’atmosphères folk.

XQAH dépeint un univers faussement léger et enfantin par une fine pellicule qui à la première occasion se fissure pour exposer des facettes plus inquiétantes. « 2021.11.18 » conte mine de rien le début d’un film d’horreur mettant en scène les objets du quotidien, tout en évoquant par des touches de piano répétées et dissonantes des leçons de musique auxquelles assisterait un élève un tantinet trop obsessionnel. « Open A Door And See » est moins minimaliste et s’émerveille du jour qui resplendit derrière la porte (peut-être celle qui ne pouvait être franchie durant le confinement ?), le tout enrobé d’exclamations vocales cartoonesques, d’un rythme entraînant et d’une bonne humeur contagieuse. Tout le contraire de « Quiet Yet », qui diffuse une anxiété rampante à peine cachée derrière son côté badin et faussement désuet.

Ces trois morceaux se savourent donc comme des friandises colorées dont l’acidité vient réveiller les papilles un temps, puis durant un second se dissiper pour révéler un cœur d’amertume composée de tout un tas de substances artificielles dont personne ne souhaite savoir quoi que ce soit. Cette approche est vraiment très différente de Hiperson et rappelle plutôt Lumi, elle aussi compositrice de tableaux ambigus… Même s’il est vrai que le spoken word si caractéristique de Sijiang Chen demeure, il est cette fois employé à de tout autres desseins. Auparavant contrastée entre explosions vocales et moments suspendus enchanteurs, sa voix devient ici plus serpentine, tour à tour berceuse et venimeuse.

Et ce changement de perspective est prometteur, puisqu'en faisant varier sa palette musicale de façon si convaincante, elle montre qu’elle a matière à étendre son univers bien au-delà de celui qu’on lui connaissait, et qu’elle y parvient avec talent. Tout est déjà là, contenu dans à peine plus grand qu’un dé à coudre. Je suis par conséquent désormais à l'affût du mystérieux BJYY (qu’importe la planète d’où il débarque, ma porte sera grande ouverte), le second EP annoncé en même temps que ce premier essai… et d’ores et déjà disponible au moment de la publication de cet article.