Festival Francofaune : une bête belge à protéger #2
L'intensité signée Ariel Tintar
De passage au Festival Francofaune le 5 octobre dernier, Ariel Tintar est venu chanter à la Maison Poème toute son intensité. Un intermède entre occident et Caraïbes, français et créole, joie et sacré qui se résume en un seul mot : sublime. On vous raconte.
C’est la Maison Poème, à Saint-Gilles, qui a accueilli cette quatrième journée du Festival Francofaune le 5 octobre dernier. Chaque année depuis plus de 10 ans, le festival automnal met pendant 10 jours en lumière des artistes de langue française issus de tous horizons, à Bruxelles et dans d’autres coins de la Wallonie. On voyage entre les scènes des multiples lieux du festival pour découvrir des univers musicaux variés. Car, vous l’aurez sûrement compris, le français n’est qu’un prétexte. Hormis la langue, brandie comme trait d’union, les artistes ont champ libre pour exprimer leur diversité, toutes origines et appartenance musicale confondues. Et c’est précisément cette liberté et son caractère confidentiel qui font toute la richesse du festival.
17H et quelques – Ariel Tintar fait son apparition dans la petite salle de la Maison Poème. Il prend place sur une scène sombre, complètement vide à l’exception d’un piano droit éclairé par un projecteur. Ariel Ariel devenu Ariel Tintar, y apportera bientôt, à lui seul, toute la lumière. La salle est silencieuse, en suspens. Les yeux fermés, il pose les doigts sur le clavier et le temps s’arrête pour de bon. Il est venu chanter avec son cœur, ses origines, sa famille, son histoire, ou du moins des fragments ; une partie résolument intime de son récit, avec force et sincérité.
Ses textes, en français et en créole, sont poétiques, imagés, codés. Ils chantent avec une pointe de nostalgie une autre époque, invitent à voyager entre deux cultures, sans qu’un choix jamais ne s’impose. C’est qu’Ariel lui-même navigue entre elles deux, entre présent et passé. Des mots créoles se glissent ainsi dans le français, ou peut-être est-ce l’inverse. Dans « Missié Bolo », il fait l’éloge de son père douanier et ironise sur le métier le « moins sexy du monde ». Mais il chante aussi le dégout du racisme que son père a subi en Martinique. Nul besoin de saisir tout le sens des mots pour être touché par l’essentiel. Sa voix et les mélodies font le reste. Et la Maison Poème était, à l’évidence, le repaire tout désigné.
En découvrant les titres de son EP Seconde Peau sorti en 2022, exclusivement en acoustique, on revient à l’essentiel et c’est d’une grande beauté. L’instrumental paraît superflu et aurait assurément dissipé toute la puissance émotionnelle d’Ariel Tintar, qui s’est imposée dès le premier accord. Le piano-voix, brut, dans cette petite salle complètement captivée, a amené quelque chose – on ose l’écrire – de sacré. Et pour cause, le public qui quelques instants plus tôt dansait dans une chenille avec Le Lou et sautillait avec Adâm La Nuit est resté assis en tailleur, complètement hypnotisé.
Les morceaux s’enchaînent et tous sans exception laissent entrevoir l’excellente maîtrise du pianiste, son touché délicat, assuré, parfois solennel. Il rappelle Benjamin Clementine, notamment sur la deuxième partie du titre « Es Ou Ka Sonjé », peut-être par la nervosité du piano ou la colère sourde qui crie toute la douleur d’un déracinement (« toutes terrifiées nous avons été repiquées sans nos racines depuis tous nos fruits touchent le sol »). Mais la comparaison s’arrête là, la voix d’Ariel est infiniment plus enveloppante et se pose avec grâce sur n’importe quel rythme, quelle que soit la dureté (ou légèreté – dans « Taxi Caraïbes ») du thème abordé.
On retient de ces quelques minutes (trop courtes) : son grain de voix légèrement éraillé et chaleureux, son univers pop poétique, l’intense douceur et la sincérité qui émane de ses morceaux. Il nous salue en disant qu’il n’a jamais vu des gens aussi gentils qu’en Belgique et que c’est très suspect. On espère surtout qu’il reviendra vite sur sol belge pour infirmer ses doutes et installer sa lumière et sa poésie. Et d’ici là, on attend impatiemment la sortie de notre coup de cœur – pas encore disponible sur Spotify – « Je suis l’étranger » (qui a laissé quelques frissons).