Asteroid City
Deux ans après The French Dispatch , le réalisateur Wes Anderson revient avec une brochette d’acteurs cinq étoiles, mais avec une histoire vide reposant sur une succession d’anecdotes, une mise en scène coincée entre deux chaises, oscillant entre le théâtre et le cinéma ainsi qu’entre fiction et réalité.
Asteroid City est présenté tout d’abord par un narrateur (Bryan Cranston) dans un format 4:3 (format carré) en noir et blanc. Ce dernier nous informe que ce que nous allons voir est une pièce de théâtre. Mais en fait, nous n'allons pas voir une pièce de théâtre, mais bien une émission de télévision sur la création de la pièce. Le spectateur se dit installé dans une mise en abîme.
L’auteur de cette représentation, Conrad Earp (Edward Norton), énonce une mise en place en trois actes. Cependant, l’acte trois n’est jamais abordé. Avec l’aide du metteur en scène Schubert Green (Adrien Brody) et des élèves du professeur Saltzburg Keitel (Willem Dafoe), l’écrivain essaye de trouver de l’inspiration.
La fiction est présentée à son tour en couleur sous un format en 16:9 (format large) avec un train rempli de marchandises diverses et variées sillonnant le paysage orangeâtre désertique américain. Le personnage principal, Augie Steenbeck (Jason Schwartzman), se rend avec son fils et ses triplées à Asteroid City, petite ville composée d’une station-service avec un garage, d'un motel, d’un restaurant d’autoroute et de rangées de petites cabanes blanches.
L’arrivée de la famille Steenbeck coïncide avec le jour de l’astéroïde, le 23 septembre 1955. Historiquement, une météorite a atterri 5000 ans auparavant, laissant sur son passage un immense cratère sur lequel un observatoire gouvernemental a été construit. En ce jour, une convention des jeunes étoiles et des cadets de l'espace est organisée et des génies en devenir sur le plan scientifique sont invités à présenter leurs inventions.
Le début semble déjà biscornu, mais la nature du film peut être résumée par la phrase suivante, dite par Augie Steenbeck à Schubert Green : « Je ne comprends toujours pas la pièce. » Ce à quoi Schubert Green répond : « Ce n'est pas grave. Continue à raconter l'histoire. »
Les long-métrages de Wes Anderson sont connus pour bénéficier d'un panel de têtes d’affiches et Asteroid City ne déroge pas à la tradition : Scarlett Johansson, Tom Hanks, Jeffrey Wright, Tilda Swinton, Steve Carell, Margot Robbie, Maya Hawke et Jeff Goldblum entre autres. Malgré l’engouement que les acteurs peuvent avoir à l’idée de jouer pour le réalisateur américain, ce dernier ne fait rien, ou en tout cas pas grand chose, de la plus-value que ces acteurs de renom peuvent lui apporter. En dehors de Jason Schwartzman qui joue un photographe de guerre récemment veuf et Scarlett Johansson qui interprète une star de cinéma désabusée, le reste du casting est quelque peu gâché par le peu de présence à l’écran et surtout par le peu de consistance apportée à leur rôle.
En plus de se perdre entre plusieurs personnages peu tangibles, aucun d’eux ne se détache de par son jeu. Certes, le cinéma de Wes Anderson a la particularité d’offrir des dialogues soignés et interprétés de manière pince-sans-rire, ce qui peut donner un certain charme et du style à l'œuvre. Toutefois, dans son dernier film, ceci est poussé tellement à l’absurde que cela en devient ennuyeux. Chaque personnage déclame son texte sur la même intonation et le même débit de paroles. Aucun d’eux ne se démarque réellement de l’autre. Fort heureusement, les performances des jeunes acteurs amènent un peu de naturel, de diversité et de légèreté. Chaque moment passé en présence de Clifford (Aristou Meehan), le fou des défis, des triplés Steenbeck (Ella, Gracie et Willan Faris) et de l’indiscipliné Dwight (Preston Mota) est un moment divertissant et agréable.
La structure narrative morcelée n’aide en rien pour éprouver un quelconque attachement vis-à-vis des personnages. Contrairement aux métrages du même auteur comme The Grand Budapest Hotel , Fantastic Mr. Fox , The Darjeeling Limited , Moonrise Kingdom ou encore The Life Aquatic qui suivent une trame simple s’appuyant sur un protagoniste voire un petit groupe de protagonistes, Asteroid City n’aborde que des esquisses de vie individuelle.
Par exemple, juste au moment où nous assistons à un timide rapprochement entre le photographe de guerre et la star de cinéma, un carton s’affiche brusquement à l'écran pour nous indiquer à quelle scène de quel acte nous sommes ; ou bien le narrateur se promène sur le plateau par accident ; ou encore l'action bascule dans la réalité en noir et blanc dans laquelle le dramaturge Conrad Earp auditionne l'acteur jouant Augie, et où le metteur en scène Schubert Green vit dans un théâtre parce qu'il s'est séparé de sa femme, etc. À aucun moment, le spectateur ne peut s’installer dans un récit en particulier et il reste sur sa faim, car il s’agit plus d’histoires anecdotiques que d’une histoire construite de bout en bout. Au-delà de l’anecdote, d’autres moments vont jusqu’à l’inutilité narrative, car ceux-ci sont non aboutis, comme l'essai d'une bombe atomique au loin ou bien des poursuites policières à grande vitesse.
En plus du côté fractionné au sein du récit, la scission entre la fiction et la réalité rend la compréhension du récit plus confuse. À alterner entre les deux genres, Wes Anderson perd son spectateur alors que cette gymnastique fonctionne à merveille dans d’autres films. Citons entre autres Ready Player One de Steven Spielberg, Les Chroniques de Narnia : Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique d’Andrew Adamson, The Matrix des sœurs Wachowski et Mary Poppins de Robert Stevenson pour illustrer nos propos.
Afin de renforcer le côté fictionnel de la pièce, celle-ci est plongée dans un format cinématographique dont le décor coloré ressemble plus à une maquette géante qu’à un lieu existant dans la vraie vie. Comme nous avons pu l’évoquer au tout début de notre article, la ville Astéroïde est constituée simplement d’une station-service, d'un motel, d’un restaurant, et de petites cabanes. La constitution de la ville ressemble en vérité plus à un studio de tournage qu’à une scène de théâtre, enlevant de ce fait tout naturel et réalisme. Les décors en carton-pâte donnent presque un aspect cartoonesque à l’environnement et le roadrunner ainsi que l’alien en stop-motion renforcent cet aspect fantasque.
Quant à sa réalisation, Asteroid City ne fait pas exception au reste de la filmographie du réalisateur : la composition des plans est toujours très symétrique, les panoramiques et les travellings sont toujours très soignés et répétitifs. Ces attributs distinctifs qui ont fait le style notable du cinéaste, en servant le récit, n’apportent ici pas de bénéfice, car les codes andersoniens ne conviennent pas aux codes du théâtre (notamment avec le plan théâtral fixe).
À force d’insister sans grand succès sur les caractéristiques qui font de son cinéma ce qu’il est, le réalisateur se parodie lui-même. Il est comme son personnage Augie qui se brûle délibérément la main en la posant sur une taque chauffante : l’acte en lui-même est écrit depuis un moment et l’acteur interprété par Jason Schwartzman demande à Conrad Earp la raison pour laquelle Augie se brûle la main. Néanmoins, l’auteur ne peut pas lui donner de motivation satisfaisante. La raison pour laquelle Augie se brûle la main est l'un de ces moments qu'Anderson place à l’écran parce qu'à ce moment-là, c'est ce que l'histoire exige de lui. C'est le mystère de cette action spontanée qui compte.
Avec Asteroid City , Wes Anderson essaye de trouver une signification à ce qu’il crée. Quelle serait la motivation satisfaisante cette fois-ci pour Asteroid City ? Tout comme son protagoniste, le réalisateur est perdu, mais il continue de raconter. Le spectateur doit transcender ce qui lui est montré aux premiers abords, même s’il peut avoir l'impression d'avancer dans l'intrigue sans avoir la moindre idée de ce vers quoi il se dirige. Peut-être que le cinéaste a tenté d'interroger son propre style en proposant quelque chose d'intentionnellement et d'ambitieusement incertain de lui-même ? Peut-être que le fait de tenter de donner un sens n’a tout simplement pas sa place au sein de cette fiction et ce, malgré l’approche contrôlée voire maniaque dont le réalisateur est familier ?
Tout au long de l’histoire, le personnage d’Augie déclare que : « All my pictures come out » ( « toutes mes photos sortent » en français). Seulement, cela prend tout son sens en anglais car « picture » est aussi un mot utilisé pour parler d’un film. Qu’importe si l’histoire est bizarre et déconstruite, qu’importe si le casting n’apporte rien de concret, qu’importe si le spectateur ne croit pas une seconde au monde dans lequel il est plongé, qu’importe si les codes andersoniens sont à la limite du pastiche, car les « pictures » (les films) d'Anderson, sortent de la manière dont ils sont censées sortir, même si cela nous laisse quelque peu perdus et confus.