On oublie souvent le point d’interrogation. Et le sous-titre. Deux éléments essentiels, pourtant ; le second expliquant le premier, lequel éclaire le second.
Il ne s’agit pas d’une énième adaptation de la saga des Rougon-Macquart, une Baudu1 sauvée des seaux. Mais de l’auscultation d’un jeune secteur trop souvent passé sous silence : le système des titres-services mis en place par le gouvernement en 2004 pour sortir du travail au noir les aides ménagères qui s’y engluaient dans une précarité absolue. Désormais, les personnes qui font appel à une aide-ménagère sous titre-service (plus d’un million de familles seraient concernées en Belgique) déboursent 9 euros par heure et l’État belge intervient pour la vingtaine d’euros restant, afin que ces dames puissent tout de même prétendre à un salaire plus ou moins décent tout en bénéficiant d’une couverture sociale.
Mais est-ce suffisant ?
Au salaire mensuel encore trop peu élevé pour leur permettre de survivre seules, souvent avec des enfants à charge, s’ajoutent d’autres emmerdements : le comportement des clients, tour à tour sales, méprisants, irrespectueux, harcelants ; et puis la pénibilité des gestes répétés cent fois, la loque tordue à s’en péter le métacarpe, la loque passée à s’en péter le dos ou les cervicales, les produits nocifs inhalés à s’en péter les poumons.
Alors qu’avec ses quelques 165 000 femmes d’ouvrage, il s’agirait du deuxième secteur en importance, après celui de la construction, le marché des titres-services, et surtout des femmes qui le font tous les jours, n’a que peu de visibilité, ne suscite que peu d’intérêt pour ceux qui se trouvent de l’autre côté de la barrière sociale. Au point que le secteur tourne en réalité avec 70 % de son effectif, devant toujours compter sur un absentéisme pour maladie avoisinant les 30 % permanents.
Gaëlle Hardy et Agnès Lejeune ont donc décidé de mettre en lumière ces invisibles qui ont si peu l’habitude de parler au grand public de leur profession – qu’elles croient méprisée pour la plupart, et d’y laisser naître les griefs et revendications, les blessures et les fêlures, la dureté d’un métier qu’on sait ne pouvoir exécuter jusqu’à soixante-cinq ans ans mais auquel on ne trouve pas forcément d’alternative.
Pour donner la voix aux professionnelles, les réalisatrices en ont suivi une petite dizaine de près, sur une bonne centaine de rencontrées, avec toujours l’envie de mettre à mal les préjugés sociaux qui ont la peau dure. Non, elles ne sont pas toutes analphabètes. Non, elles ne sont pas des esclaves à la merci des clients. Oui, certaines nettoient avec tout leur cœur. Non, toutes n’ont pas choisi ce métier. Oui, parfois leur rôle dépasse largement le simple nettoyage mais flirte avec l’accompagnement social de personnes seules.
Porte ouverte sur les coulisses du balai. Espace de parole pour celles qui le manient, ceux qui les emploient et qui les soignent, Au bonheur des dames ? est un beau portrait de femmes. De ceux que l’on voit trop rarement. Filmé sans fioritures. Dans l’ankylose du quotidien. Sans beauté ajoutée. Un brin journalistiquement. Sans esthétique marquée. Avec des cadrages souvent serrés. Bien exécuté, mais sans beaucoup d’originalité visuelle, le documentaire des réalisatrices belges offre un point de vue efficace, qui aurait gagné à voir son contexte (le système, ô combien décrié, des titres-services) peut-être un peu plus explicité et mis en perspective.
Ceci n’enlève rien à la nécessité de voir ce genre de films, dont l’actualité ne se dément pas, que ce soit sur la reconnaissance (notamment salariale) de métiers sous-payés ou sur la reconnaissance de leur pénibilité, combat loin d’être gagné encore.