Augure de Baloji
Un conte africain esthétique englouti dans ses récits
Après le rap, les clips, l’écriture de chansons et la mode, l’artiste belgo-congolais Baloji s’attaque au cinéma avec Augure. Film sur la sorcellerie, il a déjà été remarqué avec le « Prix de la nouvelle voix » à Cannes en 2023. Cependant, il comporte des faiblesses propres à un premier long-métrage dans lequel le réalisateur aurait souhaité absolument tout dire.
Augure se présente comme un film choral qui dépeint quatre trajectoires de personnages aux vies troublées par les superstitions. Nous suivons ainsi l’histoire dans un premier temps de Koffi (Marc Zinga), un jeune homme belgo-congolais qui revient de Belgique pour présenter sa future femme (Alice Debay) à sa famille. Ensuite, nous voyons Tshala (Eliane Umuhire), la sœur de Koffi, qui est sur le point de quitter le Congo avec son petit-ami sud-africain polygame. La mère de Koffi et de Tshala, Mama Mujila (Yves-Marina Gnahoua), fait aussi partie de ce panel d’histoires avec ses regrets ainsi que Paco (Marcel Otete Kabeya), seul personnage principal à ne pas faire partie de la famille Musoso, qui se retrouve à la tête d’un gang de gamins vêtus de tutus roses.
En commençant par l’histoire de Koffi, le réalisateur introduit un angle d’approche intéressant : à travers le couple que forment Koffi et Alice, Baloji amène un regard occidental sur une société africaine que nous ne connaissons pas très bien. Ce choc des cultures entre l’Afrique et l’Europe est créé par l’opposition entre la rationalité occidentale et des croyances et des rituels perçus comme irrationnels. En effet, quand Koffi se présente en compagnie de sa fiancée, l’accueil de sa famille est glacial. Un peu plus tard, Koffi a le malheur de saigner du nez sur son neveu et les retrouvailles débouchent alors sur une scène d’exorcisation : entravé, la tête plongée de force dans une bassine, Koffi est malmené par un sorcier et est verbalement mis à mort par le cercle des convives sous les yeux affolés de sa compagne.
Cette rencontre interculturelle soulève également la position des jeunes générations africaines vis-à-vis de celles plus anciennes concernant les traditions bien ancrées du pays. Cette fois-ci, c’est au travers du personnage de Tshala que Baloji aborde cet angle. La vie sexuelle de la jeune femme avec un homme volage et sa situation familiale sans enfant vont à l’encontre des modèles usuels de la société dans laquelle elle vit. Elle lutte pour son émancipation, pour sa quête d’indépendance face à un héritage culturel contraignant. Elle souhaite partir de la ville de Lubumbashi pour s’épanouir, mais lorsque son amant attrape une maladie sexuellement transmissible, elle finit par consulter le sorcier du village pour rentrer dans les bonnes grâces culturelles de son entourage alors que ni elle ni son amant n’ont foi en la sorcellerie.
En dehors de ces deux angles d’approche, le film s’articule sous forme de doubles chapitres. Le chapitrage central comprend les noms des quatre personnages principaux : Koffi, Paco, Tshala et enfin Mujila. Le double chapitrage situe temporellement le spectateur autour des jours de Pâques : dimanche des Rameaux, Lundi saint et Mardi saint. Chaque histoire doit s’imbriquer dans l’autre, car les personnages sont liés par le fait qu’ils sont soupçonnés d’être des sorciers et des sorcières. Cependant, les récits des uns et des autres ne font que se croiser sans vraiment de lien de cause à effet. Les chapitres dévoilent une partie de la vie de ses protagonistes, mais ne vont pas jusqu’au bout des thématiques qu’ils illustrent. Par exemple, Koffi et Paco sont sujets à des crises d’épilepsie, mais à aucun moment cela n’est développé et nous ne savons pas s’il y a un quelconque lien à faire entre ces crises. Le père de Tshala et Koffi, travaillant dans la mine, est aux abonnés absents tout le long du film jusqu’à disparaître totalement sans laisser (littéralement) de traces et nous restons sur notre faim, à l’image des personnages. L’amant de Tshala attrape une IST, mais nous ne connaissons pas les conséquences pour le couple ainsi que la perception de la société africaine vis-à-vis de ce type de maux…
Les trois exemples énoncés ne font qu’effleurer des thématiques et des idées dont fourmille Augure. D’autres sujets tels que la sorcellerie, le fonctionnement de nos sociétés, la place des femmes, la sexualité en dehors du mariage, le poids du patriarcat, et la transmission sont abordés. Malheureusement, le film multiplie tellement les propos que nous peinons souvent à suivre et nous ne percevons plus les liens et les aboutissants. Scénaristiquement parlant, tout semble très décousu, car le réalisateur a voulu en dire trop et a par conséquent négligé les thèmes qu’il met en scène.
L’univers visuel et symbolique de Baloji transcende de manière originale et perturbante la représentation aride et pauvre du Congo que nous pouvons connaître en tant qu’Européens. Le réalisateur a volontairement souhaité prendre ses distances avec le réalisme pour nous proposer un Congo onirique. Tout comme d’autres réalisateurs avant lui, Baloji nous plonge dans une sorte de rêve ou d’hallucination que nous pouvons retrouver notamment à trois moments clés du film.
Dès les premières secondes, une cavalière traverse le désert en galopant à cheval. Emmitouflée, méconnaissable, celle-ci passe au travers d’épouvantails pour s’arrêter aux bords d’un lac. Exhibant un sein, la femme le presse pour verser son lait maternel dans l’eau, créant ainsi un nuage de lait. Malheureusement, aucune explication n’est fournie et aucun lien narratif n’est fait avec ce qui se déroule par la suite. Il nous est donc difficile de saisir pourquoi cette scène en particulier introduit le film et quelle serait son utilité narrative.
Un peu plus tard, Baloji revisite le conte européen d’Hansel et Gretel des frères Grimm dans le chapitre dédié à Tshala : hors contexte narratif, deux enfants baignés dans une fumée rose s’aventurent dans les fourrés pour y trouver une maison constituée de barbe à papa et de biscuits en tout genre et sont invités à l’intérieur par une femme inconnue. Que cela peut-il dire sur Tshala et quel est l’intérêt d’intégrer cette scène en plein milieu du chapitre ? Tout comme le nuage de lait maternel, la signification et la raison d’introduire ce moment restent floues. Il nous manque des éléments clés pour saisir l’intention et cela nous sort finalement de la narration principale.
Pour pousser un peu plus loin l’irréalisme, Baloji a décidé de dépeindre le deuil avec des pleureuses professionnelles payées pour venir accompagner la récente veuve dans son chagrin. Ses femmes se mettent elles-mêmes en scène en ôtant leurs bijoux et leurs atours, en se couvrant de longs voiles et en revêtant des habits noirs. Celles-ci débarquent de façon burlesque en poussant des cris exagérés et se positionnent de manière tragi-comique. Elles pleurent tellement que le lieu est littéralement submergé de larmes et commence à être inondé. Ce moment, au-delà d’être marquant, reste selon nous le plus explicite dans son message : il s’agit d’une contradiction forte lors de cette scène, car, contrairement aux pleureuses payées pour montrer l’importance du défunt, la veuve ne verse pas une larme. Bénéficier d’un moment un peu plus compréhensible nous permet en tant que spectateur européen lambda de pouvoir s’y retrouver : il y a déjà assez de distance créée par la multitude de sujets et de codes culturels qui nous sont étrangers.
À contrepied de cet onirisme, des situations bien réelles ponctuent le long-métrage : un clash entre gangs, les risques liés aux relations sexuelles non protégées, le danger des mines, la perte d’un proche, le fait de devoir enfanter, etc. Dans cet exercice d’équilibrisme, il est difficile de saisir la gravité de certains moments, ne sachant pas si nous nous trouvons encore dans le rêve ou dans la réalité.
Baloji pourrait encore parfaire l’équilibre entre l’onirisme et le réalisme et faire en sorte que ses intentions puissent être déchiffrées. Son environnement créatif est tellement riche et conséquent qu'il faut y faire le tri pour bien percevoir les messages qui se cachent derrière cet univers profondément esthétique.
Augure est incontestablement un film original et il est fort possible que le spectateur ne soit pas censé tout comprendre parfaitement (notamment avec cet onirisme assumé), mais les ambitions scénaristiques dépassent malencontreusement la construction narrative. Baloji est donc un réalisateur prometteur, seulement s’il apprend à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.