Le premier long métrage de Frederike Migom est encore dans les salles. Estampillé « film flamand », aux accents également francophones et congolais, Binti tend à l’universalité grâce à la voix attendrissante de ses jeunes interprètes. Un film lumineux qui, loin de surfer sur un sujet convenu, invite à l’humanisme, tout simplement.
C’est un film belge comme on les aime, tourné à Anvers et Bruxelles, mariant flamand et français dans un joyeux dialogue qui jamais ne se rompt, affichant une simplicité énergisante, donnant à Baloji son premier grand rôle de cinéma, aux côtés de sa fille, lui qui fut liégeois, puis gantois. Chanteur de feu Starflam, aussi.
Binti porte le nom de sa jeune héroïne (délirante Bebel Tshiani Baloji), Congolaise qui ne connaît pas le pays où elle née, et d’où l’a emportée son père, Jovial (Baloji, donc) pour lui offrir une vie meilleure, loin de la pauvreté et de la peur.
Mais la peur habite aussi en Belgique, où père et fille se retrouvent en séjour illégal. Ils sont en vie mais ils n’existent pas, comme le dit très bien Jovial. Sans papier, ils résident en communauté dans un squat, duquel ils doivent déguerpir suite à une descente surprise de la police. Ils se retrouvent dans le voisinage propret de Christine P. (Joke Devynck) et son fils Elias (Mo Bakker), président (car unique membre) du club des okapis, qu’il s’est mis en tête de sauver. Noble cause que Binti va contribuer à communiquer au public, en tant que « professionnelle » de la selfie machine et du vlog à paillettes. C’est que Binti a une passion : sa chaîne Youtube sur laquelle elle raconte des trucs de fille, avec force cœurs, émojis et enjouement. Son rêve ? Devenir comme Tatyana Beloy (herself), youtubeuse girly à la centaine de milliers d’abonnés. Car si elle a un millier d’abonnés sur sa chaîne, c’est qu’elle existe, non ?
Pétillant petit film, le premier long métrage de Frederike Migom se met à hauteur d’enfant pour aborder un sujet peu jovial (avec mauvais jeu de mots). Sans se vautrer dans le misérabilisme ou la leçon de morale, elle aborde de front la difficulté de la situation illégale, avec son lot de peur, d’injustice, de vulnérabilité, de violence, tout en se parant des codes langagiers des jeunes d’aujourd’hui. Ce qui rend le film léger, c’est la bonne humeur de son interprète éponyme, bien sûr, mais aussi le vide intersidéral de ses vidéos « girly ». Bebel Tshiani Baloji campe une pré-ado plus vraie que nature, aux humeurs et ardeurs bien de notre temps, qu’on a envie d’embrasser et gifler à la fois. On assiste amusés à la fabrication de ses capsules vidéos, à ses manigances maritales et son innocence d’enfant. L’amusement s’éteint cependant quand la situation prend un tour plus dramatique.
Binti a cette justesse : montrer les rêves d’enfant mais aussi la réalité qui les rattrape, et frappe de plein fouet. Une arrestation, une détention en centre fermé, une tentative d’expulsion, autant de moment d’une violence inouïe pour les adultes, et encore plus pour leurs enfants. Ce sont là des images d’un réalisme cru, qui rappellent la dureté d’une telle situation. Même si l’histoire est proprette et sans beaucoup de surprise, elle redonne un peu de couleurs à l’humanité et rappelle à notre mémoire les oubliés.
Frederike Migom compose une jolie chronique familiale, sans prétention, servie par un casting heureux et l’accompagnement musical dressé par Le Motel. Un film accessible et d’utilité publique. Pour se souvenir de ceux qui vivent sans exister.