Brigitte Grignet
La galerie Karoo expose toute cette semaine les photographies de Brigitte Grignet , dont une monographie parue chez Yellow Now retrace le parcours esthétique. L’occasion de revenir avec elle sur l’actualité d’un médium en perpétuelle mutation.
Karoo : Brigitte Grignet, pourquoi la photographie ?
Brigitte Grignet : C’est une question très large ! Ça faisait partie de ma vie comme pour beaucoup de gens, mais je n’ai jamais pensé qu’on pouvait le faire professionnellement. Je suis venu à la photo sur le tard puisque j’ai d’abord fait d’autres études (il fallait bien trouver du travail). C’est aux États-Unis que je suis tombée là-dedans. Déménager dans un autre pays est assez libératoire, on voit les choses d’une autre façon. J’ai donc pris une fois par semaine des cours de labo, et puis un prof m’a encouragé à continuer. Et j’ai suivi son conseil.
La photo est instinctive, c’est ce qui me plaisait et c’est ce qui me correspond. Elle permet de s’exprimer et de se libérer de plein de choses. Donc je ne me pose pas cette question du pourquoi, c’est avant tout un médium extraordinaire.
Pourquoi limiter ton travail au statut de photo documentaire ?
Ce qui m’intéresse, c’est la réalité. Je ne suis pas quelqu’un de conceptuel. Et puis je ne sais pas très bien mettre ce genre d’étiquette sur des œuvres, c’est compliqué et ça ne sert pas à grand-chose. Je réponds à certaines commandes, mais mon travail personnel est d’aller malgré tout au-delà des news . Il n’y a rien de plus beau que la réalité.
La photo est aussi un état d’esprit. J’aime constater la perception qu’on a des choses. On voit tous des réalités différentes en fonction de notre background , de ce qu’on a mangé le matin, de ce qu’on a vu… La question du point de vue est importante en photographie, celui-ci renseigne assez bien sur la personne que l’on est et sur ce qu’on veut faire.
Nous vivons dans une sorte de brouhaha sonore et visuel. Comment penses-tu l’avenir de la photo ?
On a beau être bombardé, il manque une éducation à l’image. Souvent, quand je demande le nom d’un photographe à des amateurs de photo, ils sont incapables de le dire, ou ce qu’ils connaissent est souvent superficiel, un peu commercial et naïf. Peut-être parce que, de manière générale, on devient plus blasé ? Le type d’images retenues est en fait narcissique. Les gens se contentent d’une lecture superficielle.
Quant à l’avenir du photojournalisme, comment continuer à vivre alors que tout le monde a un appareil photo et que, désormais, les journaux demandent aussi des photos aux amateurs ? On ne demande plus un point de vue particulier. Une enquête a révélé ce que donnaient les journaux aux photographes et c’est un truc de fou ! Cela va de zéro à sept euros par image… Autrement dit, rien du tout ! On disait aux stagiaires qu’on avait avec Mary Ellen Mark : ne devenez pas photographe ! Il y a de plus en plus de photographes et c’est tant mieux, mais c’est au détriment d’autre chose. Les photographes professionnels sont obligés de trouver d’autres boulots pour survivre. Il faut trouver d’autres façons de fonctionner.
Un livre a été publié en 2015 chez Yellow Now, Present Perfect, peux-tu nous en dire un mot ?
Mon livre a été édité chez ce chouette éditeur qui publie aussi sur le cinéma. Ils travaillent dans la sobriété et la simplicité, ce qui met en valeur les images. J’ai voulu faire une monographie : c’était intéressant pour moi de mélanger l’ensemble de mon travail et de voir les images se parler autrement. Parce que c’est important de donner du sens à son travail en dehors de l’image simple ou de ses petites habitudes.
Est-ce que tu pourrais concevoir un livre sur un thème précis ?
J’aimerais faire un livre sur mon travail au Chili, parce que c’est sept ans de travail, il y a donc de la matière. Pour celui-ci, j’ai eu cette envie-là à ce moment-là.
Tout autre chose
Si
tu devais ne retenir qu’un film…
Le premier qui me vient à l’esprit est la Double Vie de Véronique de Kieslowski. J’adore l’atmosphère, on peut y entrer totalement et ça m’est resté. La photographie est aussi magnifique.
Un livre…
Je lis pas mal de littérature américaine. Un livre qui m’a marqué est celui de John Kennedy Toole, la Conjuration des imbéciles . C’est hilarant et puis c’est plein de choses qui racontent l’Amérique. Ce n’est pas de la littérature ardue, ça se lit aisément et une fois à l’intérieur, il est difficile de s’en détacher. Ça raconte une histoire, tout simplement.
Et un seul autre artiste…
Un seul artiste ? Ce n’est pas possible ! En peinture, je n’ai pas un peintre préféré, mais Constant Permeke m’avait fasciné à Bozar. J’ai adoré la lumière de ses tableaux, qu’on retrouve aussi dans les portraits des peintres flamands. En photo, il y a Helen Levitt, Jacques-Henri Lartigue (qu’est-ce qu’on ferait sans Lartigue…) et Robert Frank pour les Américains. Ce sont des classiques que tout le monde connaît mais qui restent vraiment incontournables. Dans la photographie contemporaine, une photographe que je trouve très intéressante est Vanessa Winship, qui est aussi à l’agence Vu (n.d.l.r. l’agence qui s’occupe de Brigitte Grignet) . Essentiellement des photographes qui travaillent le noir et blanc. En couleur et aussi contemporain, j’aime beaucoup Denis Dailleux.
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