Être le chef d’orchestre
En écoute dans la galerie Karoo , Basic Feelings alias Jimmy Geeraerd répond à nos questions sur le b.a.-ba de la techno et de la scène belge contemporaine.
Dans la galerie Karoo cette semaine, on découvre trois de tes morceaux. Comment définis-tu le genre de musique que tu proposes ?
Je pense que ma musique se trouve à la croisée entre la techno old school et l’acid, avec diverses influences du milieu de la musique électronique. Underground, brute mais en même temps mélodieuse… J’ai toujours eu des difficultés à décrire concrètement ce que je faisais. De plus, je n’ai jamais composé quoi que ce soit en ayant une idée précise des sonorités que je voulais obtenir. Je me mets devant mes machines et je commence à composer, le reste vient petit à petit.
Pour le novice, l’univers des musiques électroniques paraît complexe, rempli de sous-genres plus ou moins populaires. Quel portrait dresses-tu de la scène actuelle en Belgique ?
Comme tu le dis, il y a beaucoup de genres différents, et la Belgique en est une très bonne représentation. Je déplore le fait que nous vivions dans un pays qui n’assume pas cette part de sa culture. La rave a vécu de très beaux jours en Belgique, et il semble encore aujourd’hui que ce n’est pas, à l’instar de l’Allemagne, reconnu comme un art à part entière. La scène belge est restée très variée, il y a absolument de tout, mais je constate tout de même que la techno y a encore une place prépondérante. La Flandre nous submerge littéralement de soirées de qualité, invitant des DJ et producteurs tant de la nouvelle école que de l’ancienne.
Tu composes aujourd’hui tes morceaux : qu’est-ce qui t’a fait franchir le cap qui sépare le DJing de la composition ?
Je crois qu’il s’agit d’une suite logique. J’ai commencé à mixer avec deux platines CD, puis j’ai appris à mixer sur platines vinyles. Après cela, je n’ai fait que mixer avec quatre platines, ce qui m’amusait beaucoup car c’était un nouveau défi. Une fois que je me suis senti vraiment à l’aise avec ce matériel, j’ai eu l’envie de composer. Je ne touchais rien aux softwares, du coup j’ai acheté ma première machine il y a quelques années et j’ai vraiment adoré le fait de créer toute une œuvre dans le but de la jouer devant un auditoire. Le DJing à quatre platines me permettait déjà de créer des univers propres en mélangeant constamment au moins deux pistes ensemble ; le live me permet de créer totalement cet univers, dans la mesure de mes compétences, bien sûr.
Peux-tu nous dire un mot du collectif au sein duquel tu évolues ?
Je fais partie depuis maintenant plusieurs années de be:pulsed (ce nom est très récent, mais nous existons et évoluons depuis cinq ans), un collectif qui vise la promotion d’artistes de qualité qui n’ont pas forcément les moyens pour se faire connaître ou pour avoir l’opportunité de montrer à un public ce qu’ils présentent. Nous sommes pour l’instant plutôt orientés vers la musique et notamment celle du monde de la nuit. Nous souhaitons toutefois, à terme, nous ouvrir à tous les types d’arts. Frais, jeunes et dynamiques, nous avons beaucoup de choses à exposer et nous espérons prendre une place propre à nous dans le milieu socio-culturel.
Éternelle question : estimes-tu que tu composes au même titre que peut le faire un guitariste ou un pianiste par exemple ?
J’estime que c’est très différent. Tout comme je ne dirais pas qu’un pianiste vaut plus ou moins qu’un guitariste, je trouve qu’il en va de même pour la musique électronique. Quand je vois un artiste techno qui présente son live, je me dis qu’il est le chef d’orchestre de machines. Concrètement, ses machines ne font pas d’erreurs ; il faut toutefois les configurer et parvenir à leur faire dire ce qu’on veut, ce qui n’est pas toujours chose aisée. Chaque artiste possède son univers, et même ceux qui aspirent à un style commun auront quelque chose de différent à offrir. On compose, on crée, qu’on le fasse avec une guitare, des synthétiseurs, ou des cuillers sur des casseroles.
Quelles sont tes références musicales personnelles ?
Johannes Heil, DJ Rush, Chris Liebing, Ben Sims, Dave Clarke, Octave One, Surgeon constituent une partie de de mes influences de la techno plus ancienne ; je pense que ça peut donner une idée, même s’il y a forcément beaucoup d’autres noms qui me viennent à l’esprit. À l’heure actuelle, les DJ et producteurs techno qui m’intéressent le plus sont notamment Dax J, Stranger, UVB, Ansome ou encore l’incroyable Perc (qui a tout de même déjà fait un bon bout de chemin), pour n’en citer que quelques-uns. Ensuite il y a AnD, projet techno qui, s’il existe depuis des années, commence maintenant à réellement se faire connaître et à être apprécié à sa juste valeur. Je conseille à quiconque qui a des doutes sur la techno d’aller voir ce duo en live ou en DJ set. Leur univers, plus rapide et plus orienté vers la techno raw des années 1990 et 2000, est un délice de dynamisme et de puissance.
Et en dehors de la techno ?
En dehors de la techno, j’aime de tout : ça passe par le rock, le métal, le jazz, le hip-hop, le reggae, le funk, la soul, la house… Je considère que tant que c’est bon, et que ça a du sens, il existe un intérêt à écouter l’œuvre d’un artiste.
Tout autre chose
Si tu devais conseiller un roman, un seul ?
American Psycho de Bret Easton Ellis. C’est un roman très « caustique » et dérangeant, il soulève beaucoup de problèmes de notre société. Il n’a pas pris une ride et ça reste une de mes lectures les plus incroyables.
Un film (ou une série) ?
Mr. Robot . Cette série est tout simplement incroyable. Son anticonformisme fait vraiment du bien, et le message qu’elle fait passer est très intéressant.
Un peintre, un photographe, un plasticien ?
Diko – Urban Artist , qui fait partie du collectif be:pulsed. Un artiste à suivre, qui expose de plus en plus en Belgique.
Un album ?
Animals de Pink Floyd. Cet album est un bijou que j’écoute très fréquemment : il me surprend toujours et reste à mes yeux un album phare de Pink Floyd, probablement l’album le plus original et le plus abouti.