critique &
création culturelle

Souvenir de Bill Callahan

aux Nuits Botanique 2023

Retour impressionniste sur le concert du désormais légendaire Bill Callahan, présent ce 27 avril 2023 aux Nuits Botanique .

Il faut savoir arriver à un concert les oreilles vides. Après avoir tant écouté, être entré dans cette sorte de communion que certaines chansons excitent, le pire serait de s’y attendre, de l’espérer, de s’y préparer.

Heureusement l’ambiance des Nuits Botanique empêche l’esprit de jouer ce vilain tour. Ce sont les yeux qui monopolisent l’attention tout d’abord : on regarde qui s’y trouve et on y trouve suffisamment pour se régaler ; les fringues et ceux qui les revêtent offrent leur rançon à l’imagination.

Le concert qui précède, d’ailleurs, cette gentille musique où il ne se passe rien, incite à préférer l’œil à l’oreille. On aperçoit ainsi, au téléphone dans les jardins, un des musiciens de Callahan – on en est certain : sa solitude un peu lasse, cette isolation qui semble totale, ça trahit le gars en tournée depuis au moins 40 ans. Quelques minutes plus tard, de fait, le voilà prenant place derrière la batterie pour un dernier soundcheck .

 Enfin ça va commencer et revient alors l’attente ; l’attention se porte à la scène, et en une fraction de seconde il faut savoir chasser cette image : Bill Callahan, ce monument qu’on a bâti en l’écoutant, cette voix dont la gravité et la douceur incarne une forme d’Amérique, un continent qui s’étend de l’enfance jusqu’à l’horizon du merveilleux, aux antipodes des États-Unis (qui ne sont plus désormais que l’image de la peur). Bill Callahan nous accompagne depuis une adolescence plus bruyante et avec lui nous avons exploré les amours malheureuses puis les tourments plus subtils d’une espèce de maturité ; sa guitare, ses lignes de guitare qui accompagnent des histoires de desperado , on ne sait pas comment la dire, si ce n’est de manière très personnelle en comparant ses notes à la lumière d’autant de bougies. Comme celles de Neil Young, on leur trouve le don des silences, de savoir si précisément se taire, d’être dans le geste plutôt que la peinture.

 Le reste, c’est un concert : vous y étiez ou pas. Vous dire les circonstances, les péripéties, cette fois-ci, ne présente pas vraiment d’intérêt. Ce qui en possède peut-être, c’est de dire que Bill Callahan et son groupe réussissent à créer une succession de moments uniques, d’emportements gigantesques, de sensations d’être ici et maintenant. Pourquoi et comment ? Who cares? Disons tout de même : ce sont des maîtres-artisans. Si l’inspiration, la créativité, le style, l’élégance, l’artisterie est épatante, il n’est pas question pourtant de la susciter sur scène ou de la feindre. En concert, c’est le métier de musicien qui s’exprime, et du métier il y en avait ce soir-là. À revendre. « Réglé comme du papier à musique », dit-on. Eh bien c’était parfait, et ne croyez pas une seconde que ça manquait d’émotion : ce n’était absolument pas sentimental, mais le corps entier était englouti dans un bain sonore.

« With the grace of a corpse

  In a riptide

I let go

 And I slide slide slide

Downriver »

Oui, cette image de l’emportement dans une rivière me vient et je pense aussitôt à ces premières phrases de « Say Valley Maker », parce qu’elles résument à elle seules ce qu’il en était ce soir-là, même si la tonalité était tout autre. Alors quittons-nous là-dessus, à cent lieues de l’ambiance du concert, mais au plus près de qu’il s’y est entendu.

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