Foxfinder
Trouver un ennemi, ou du moins l’inventer

Proposé au Théâtre de Poche du 4 au 22 novembre, Foxfinder raconte le destin d’une ferme chamboulée par l’arrivée d’un chasseur de renard fouineur, outil d’une violence étatique sur le monde agricole. Une pièce aux thématiques actuelles, mais exploitées de façon timorée.
La ferme de Judith et Samuel Covey est à la peine. Leurs quotas risquent de ne pas être respectés et voilà qu’on leur fourgue dans les pattes un inspecteur. Froid, insidieux, William Bloor agresse de questions les Covey, fouille leur propriété ou bien les apaise de phrases faussement chaleureuses. Peut-être leur donnera-t-il une seconde chance, comme à ces autres fermiers et fermières qu’il a rencontré·es juste avant ; un stratagème pour mieux les garder sous emprise, dans la peur et la coercition qui semblent faire loi dans ce monde « dystopique1 ». Mais peu importe les rendements en fin de compte, car si William est là, c’est pour voir si les mauvaises récoltes ne seraient pas le fruit d’un renard. Son job, en effet, est avant tout de trouver ce bouc émissaire, ce renard nuisible accablé de tous les maux.
Le message de la pièce est vite dressé, la métaphore tissée dans les premières scènes : cette recherche d’un ennemi autre, pour ne pas se regarder soi et ses propres torts. L’Institut, dont est issu William, plutôt que de trouver de réelles solutions, utilise le renard en figure d’épouvantail. William lit dans les pages d’un livre une description qui brosse un portrait horrifique de cette bête rousse ; ridicule et éthologiquement erronée, cette vision nourrit une haine et un désir de lutte. L’ennemi est tout trouvé. Sauf que le renard, en réalité, n'est plus là depuis longtemps dans la campagne anglaise. Les fermes se retrouvent donc jugées comme contaminées sur des critères farfelus, subjectivement et arbitrairement posés. William, en tant que foxfinder biberonné à la propagande de l’Institut, trouve toujours moyen de manipuler les mots, et de voir dans l’anecdotique le signe d’une présence, un symbole à interpréter. Et William ne démordra pas de son idéologie, jusqu’aux dernières scènes où le doute, face à la propre folie obnubilée de Samuel, s’installe.

Si le propos de la pièce se révèle dans les premières minutes, le texte de Dawn King peine malheureusement à approfondir ses sujets, à étoffer son allégorie de nouvelles couches. Il faut dire que Julie-Anne Roth adapte ici un texte d’il y a plus de dix ans, et que le réel, par certains aspects, pourrait avoir déjà rattrapé la fiction. À l’heure de la dénonciation des fake news, du climato-scepticisme et du glissement vers la logocratie2, la propagande et l'intimidation étatique et/ou des partis politiques n’est peut-être pas si loin. C’est à la fois l’une des forces de Foxfinder de s’inscrire dans une actualité anxiogène, mais c’est aussi une faiblesse de la pièce de ne pas aller au-delà de ce théâtre-miroir.
Alors que Foxfinder demeure pertinent et offre des clés de lecture ou des pistes de réflexion sur notre monde, le ton de la pièce reste finalement assez plat. L’intrigue peine à s’envoler malgré son crescendo de tensions à venir : entre Samuel, qui devient fou de l’idée que peut-être les renards sont responsables de la mort de son fils ; Judith, pragmatique, qui tient à bout de bras sa ferme ; et William, en prise avec ses propres démons et sa hargneuse enquête méthodique. Peut-être ce ressenti est-il dû au jeu des acteurices qui manque par moment de justesse pour offrir pleinement aux répliques l’impact nécessaire au rebond de la narration. La résolution trop facile au conflit offre de même une fin qui s’avère décevante au vu du potentiel de l’intrigue.
Je reste insatisfait du propos abordé. À l'heure actuelle, le renard est encore perçu comme un indésirable et la relation au vivant dans son entièreté est dégradée. Sans doute aurai-je espéré une forme de réconciliation, une meilleure compréhension finale de la part des personnages quant à l’écosystème dans lequel iels vivent. L’histoire reste anthropocentrée : elle parle des peurs et faiblesses humaines, de ses formes hiérarchiques de domination qui ont glissé vers l’autoritarisme. Si le choix reste louable et puissant dans ses potentialités, il m’a semblé toutefois que, dans les faits, Foxfinder ne parvenait pas à détricoter et/ou tisser un drame humain fort et incarné. Reste une allégorie qui manque de souffle, de profondeur et de développement.

Il n’en reste que la scénographie rend l’expérience immersive. Un lit double d’un côté de la scène, un lit simple de l’autre, une table et des chaises pour faire office de cuisine et de salle à manger, ou encore des branches d’arbres qui s’en vont et viennent pour figurer une forêt. La mise en scène de Julie-Anne Roth (assistée de Caroline Riego Maidana) joue de ces différents lieux pour structurer le récit en alternant les scènes via des fondus au noir. C’est cet enchaînement rythmé et certains moments clés qui m’ont particulièrement agrippé au déroulé de la pièce, notamment une danse sous la pluie où Judith et sa voisine boxent les gouttes d’eau, ou encore la folie de Samuel dans le brouillard de la forêt.
En fin de compte, Foxfinder offre un bon moment de théâtre, à la scénographie et à la mise en scène créatives. Malheureusement, il manque au texte une profondeur qui lui permettrait d’aller au-delà de sa prémisse. Son allégorie de l’autoritarisme, par manque de détails, de facettes étoffées, reste bien gentille et fait pâle figure face au réel.