Histoire de la fille qui ne voulait tuer personne
de Jérôme Leroy
Le rêve de la Douceur
Dans Histoire de la fille qui ne voulait tuer personne, parue aux éditions Syros en août 2023, l’écrivain Jérôme Leroy offre la parole à une jeune française du futur. Il la dépeint confrontée à ses propres contradictions dans une Europe postapocalyptique qui oublie les leçons des catastrophes passées... Un joli message sur la puissance de la poésie, de la jeunesse et de l’imagination pour construire un avenir moins menaçant.
« Songe à la douceur d’aller là-bas vivre ensemble » écrivait Baudelaire. Plus qu’une invitation au voyage, c’est l’urgence de la fuite qu’expérimentent Ada et Jason, les jeunes protagonistes du nouveau roman de l’auteur français. Quand un projet utopique vire à la dystopie, quand la peine de mort est réhabilitée par référendum et nommée de manière orwellienne « Loi de Protection du Vivant », la Douceur devient en effet le seul horizon d’espoir des deux adolescents…
« Et refaire votre vie au Portugal ? Vous y avez pensé ? Au pays de la Doçura, de la Douceur… »
Le récit se déroule en 2069. Après la Décennie Terrible (2033-2043) durant laquelle a péri la moitié de l’humanité, un groupe d’une vingtaine de Pionniers a créé l’Alliance du Vivant, guidé par Vigdis Mendoza, qui en deviendra la première présidente avec son Manifeste 2041. Trente pays d’Europe se sont unis pour faire refleurir tant bien que mal un semblant de société sur les ruines fumantes, en laissant néanmoins 70% de la population hors de l’enclave protectrice, dans le Dehors.
Cette nouvelle Fédération Européenne se déclare reposer sur l’égalité, la sobriété écologique totale et la non-violence. Et pourtant. Les descendants des Pionniers forment déjà une élite pleine de suffisance ; au fil des années, le Dehors ne diminue pas mais, au contraire, ne cesse de s’agrandir (« égalité » : raté). La viande est classée comme une drogue interdite, même si les habitants du Dehors continuent d’en consommer joyeusement. Les livres en papier et les voitures sont en voie de disparition, mais les holofeuilles (variété de tablettes électroniques), securewatch (substituant les smartphones personnels) et jets privés, eux, existent toujours, tout comme Internet, renommé le Réseau (timide « sobriété écologique », peut-être, mais « totale », sûrement pas). Régulation des naissances, régime de dénonciation et, finalement, en 2068, réinstauration de la peine de mort qui sera exécutée par des citoyens tirés au sort (« non-violence » : échec sur toute la ligne).
2069 donc. Ada Veen, 17 ans, originaire de Rouen, vient d’être désignée par le hasard pour exécuter le dernier condamné à mort en date. Elle qui incarne le rôle de Pionnière parfaite depuis sa plus tendre enfance, elle qui a toujours défendu le système bec et ongles et refusé la moindre remise en question, se retrouve démunie. C’est une chose d’avoir voté « oui » pour la Loi de Protection du Vivant. C’en est une autre d’être mise face à ses conséquences, d’accepter de devenir une assassin. Même si le régime tente de masquer la réalité, de la déguiser grâce au langage, en lui assurant qu’elle ne réalisera qu’une simple procédure, qu’il s’agit même d’un honneur, Ada ne voit soudain plus que l’horreur. Partout.
Alors, elle repense à Jason et ses amis, le gang Nerval, qui marchent des nuits entières dans la ville en lisant de la poésie et en rêvant de la Douceur, du Portugal, de ce pays européen qui a refusé d’intégrer la Fédération. Jason qu’elle côtoie depuis des années, malgré leurs nombreux désaccords.
« Ada avait souvent raison […] J’ai mis du temps à lui exposer mon point de vue sur notre monde, et ça ne s’est pas fait ce jour-là, mais peu à peu, elle a fini par comprendre, à défaut de m’approuver. C’est peut-être cela, l’amour, en fait. »