critique &
création culturelle

Inconditionnelles

Une pièce aux sujets multiples et au message évasif 

© Christophe Raynaud de Lage

Inconditionnelles est une pièce de théâtre en musique qui retrace le parcours d’une prisonnière amoureuse de la chanson et de sa co-détenue. Le texte original écrit par Kae Tempest est mis en scène au théâtre de Namur et traduit de l’anglais au français par Dorothée Munyaneza, dans une adaptation au fort potentiel mais décevante par son manque de profondeur.

Depuis la cellule sombre de sa prison, Chess chante. Elle écrit aussi des chansons ou écoute des mélodies sur une petite radio en dansant de tout son soûl avec Serena, son amoureuse et co-détenue. Un jour, une femme aux cheveux d’argent surnomée Silver propose de lui donner des cours et d’aider Chess à écrire un album. Les deux femmes se voient régulièrement en prison pour travailler sur le projet et Chess, au début timide, prend peu à peu confiance en elle et apprend à s’ouvrir. Seulement, voilà que Serena se voit accorder une libération conditionnelle. Chess, dévastée, sombre et abandonne la musique. Pendant ce temps, Serena tente par tous les moyens de retrouver la fille de Chess dans le monde extérieur.

Kae Tempest est un·e chanteur·euse, slameur·euse, écrivain·e, poète·sse anglais·e ayant reçu plusieurs prix, notamment le prix Ted Hughes de poésie en 2012 et le Lion d’argent en 2021. Iel écrit Inconditionnelles (Hopelessly Devoted en anglais) en 2014. Depuis, cette pièce a été jouée plusieurs fois avec des interprétations, mises en scènes et actrices différentes.

Kae Tempest, © Henry Lockyer/BBC/Bohemia Films

Inconditionnelles aborde beaucoup de sujets importants en un temps record (1h30), trop vite en réalité. Entre conditions de vie en milieu carcéral, amour, romance, violences domestiques, envies suicidaires, santé mentale, maternité, amitié, musique, confiance en soi… je me retrouve avec un condensé d’informations et la frustration de ne pas bien saisir le message que Kae Tempest souhaitait exprimer. J’aurais préféré que le synopsis s’éparpille moins et creuse davantage au moins une de ces thématiques, sans rester en surface ou les balayer, afin que la pièce devienne plus percutante et touchante.

Ce condensé de sujets est traité à travers des dialogues tirant souvent en longueur, accompagnés de moments creux qui renforcent la sensation de superficialité. Finalement la pièce aboutit à un dénouement heureux qui arrive trop vite : la santé mentale de Chess étant au plus bas, si bien qu’elle fait une tentative de suicide et ne veut plus faire de musique, puis une ellipse nous transporte face à une Chess transformée, prête à monter sur scène et à chanter devant un public, ce qui encore une fois entraîne une certaine frustration et confusion car je manque d’éléments pour comprendre l’évolution du personnage et cela semble trop simple.

Dans cette interprétation et mise en scène de Dorothée Munyaneza, le texte est interprété par Sondos Belhassen, Bwanga Pilipili, Davide-Christelle Sanvee et Grace Seri. Leurs émotions semblent réelles et perceptibles durant la pièce, mais elles transparaissent plutôt au niveau corporel, car les intonations, elles, manquent de naturel et d’authenticité, ce qui déforce l’effet général. En effet, à travers le langage corporel des actrices, j’ai ressenti la brutalité de la douleur ou la douceur de l’amour de manière très vivante et vibrante. À côté de cela, j’ai trouvé le langage verbal un peu robotique, comme un mauvais doublage.

© Christophe Raynaud de Lage

La scénographie de Camille Duchemin est cependant d’une créativité simple, efficace et percutante. Dans une ambiance sombre et épurée, les murs et les portes sont représentés par des sortes de rideaux noirs translucides qui se lèvent et s’abaissent en fonction des espaces qu’on cherche à définir et à diviser. Ainsi, à travers la transparence du tissu, les spectateur·ices peuvent encore voir ce qui existe au-delà de ces limites. Les lumières sont parfois froides, sombres ou rouge vif.

Enfin, la musique prend une place très importante dans la pièce, avec des compositions de Kae Tempest et Dan Carey. Les sons électroniques, parfois doux, parfois très rythmiques, sont accompagnés de la voix claire de Grace Seri. La première chanson est ainsi particulièrement touchante, un coup de cœur personnel, mais il n’est malheureusement pas possible de réécouter les mélodies sur un autre média.

Il serait intéressant de lire le texte original anglophone de Kae Tempest pour comparaison afin de constater si je ressens toujours un manque de profondeur et une dispersion des idées. Les sujets de cette œuvre sont tous très importants et j’ai l’impression qu’ils mériteraient justement d’être explorés davantage et de manière plus impactante car je n’ai finalement pas été très touchée et je n’ai pas perçu le message véhiculé par la pièce.

Même rédacteur·ice :

Inconditionnelles

Texte : Kae Tempest

Musique : Dan Carey

Traduction et mise en scène : Dorothée Munyaneza

Collaboration musicale : Ben LaMar Gay

Scénographie et lumières : Camille Duchemin

Costumes : Lila John

Assistante mise en scène : Lisa Como

Avec Sondos Belhassen, Bwanga Pilipili, Davide-Christelle Sanvee et Grace Seri

Production : Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord

Coproduction : Théâtre National de Strasbourg ; Festival d’automne à Paris ; Théâtre de Namur ; La Muse en Circuit – Centre national de création musicale ; Cercle des partenaires

Inconditionnelles (Hopelessly Devoted) de Kae Tempest, traduit par Dorothée Munyaneza, est publié et représenté par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale. 

Photo Dorothée Munyaneza

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