Retour sur le dernier livre de Brigitte Giraud, Jour de Courage . Elle y aborde un coming out et les réactions qui en découlent dans une situation un peu particulière…
Brigitte Giraud offre un roman engagé sur la question de l’homosexualité à travers l’exposé de Livio, un adolescent de 17 ans qui va choisir de parler de Magnus Hirschfeld à son cours d’histoire traitant des premiers autodafés de mai 33. Ainsi, l’étudiant aborde à son insu sa sexualité pendant que la classe à laquelle il se confronte réagit à ses propos telle une microsociété. Un récit qui se resserre au fur et à mesure de la lecture et qui reflète le vécu possible d’un coming out tout en y faisant réfléchir.
Brigitte Giraud est une écrivaine française d’origine algérienne qui vit aujourd’hui à Lyon. Elle écrit avant tout des romans et des nouvelles. On peut notamment citer L’amour est très surestimé , prix Goncourt de la nouvelle en 2007, Une année étrangère , prix Gioni en 2009 et Pas d’inquiétude qui a été l’objet d’un téléfilm diffusé sur France 2. Elle dirige également la collection de littérature « La forêt » aux éditions Stock.
Dans ce livre, on a d’un côté Magnus Hirschfeld, un illustre médecin allemand qui est le premier à étudier la sexualité humaine sur des bases scientifiques et un des premiers à mener un combat pour la cause homosexuelle. Il fonde notamment en 1919 l’ Institut de sexologie où s’est déroulé, en 1930, la première opération connue de changement de sexe d’homme à femme de Lili Elbe dont traite le film The Danish Girl . De l’autre côté, on suit le parcours de Livio, qui présente, lors d’une matinée de 2019, un exposé traitant du cas de ce médecin et des premiers autodafés nazis qui ont touché la bibliothèque de son institut. Cette bibliothèque comportait environ 350 000 photos et 30 000 volumes abordant la sexualité sous différents angles. Cent ans séparent les trajectoires de ces deux hommes et pourtant, en cette matinée, quelque chose d’éperdument fort les liera : chacun apportera à l’autre une reconnaissance. Chacun à leur manière et dans des époques différentes, ils vont s’inscrire dans un mouvement de libération homosexuelle.
Et il se rendit compte en le disant que l’homosexualité était la seule minorité qui ne trouve pas forcément de réconfort auprès des siens. C’est la seule communauté qui se construit la plupart du temps hors de la famille. Et parfois contre.
La confrontation de Livio à sa classe est propre à ce récit. L’histoire se construit tout au long d’une matinée durant laquelle Livio, présenté comme un garçon charismatique, cultivé et atypique par rapport aux autres élèves de sa classe, se met dans une situation de tension par rapport à lui-même et aux autres en portant de l’intérêt à ce médecin allemand. Au fur et à mesure de l’exposé, il affronte ses propres questionnements et ceux des autres. Il rencontre tour à tour l’empathie, l’hostilité, la moquerie… En tant que lecteur, on se sent coincé dans une situation qui monte crescendo et qui est hors de contrôle des personnages eux-mêmes. On a l’impression de vivre la scène en même temps que les protagonistes. Ce récit intègre par moment le lecteur dans les pensées des personnages principaux et, à d’autres moments, le positionne en tant que spectateur des faits, ce qui l’implique nécessairement émotionnellement, mais qui rend difficile la prise de parti pour un vécu plus qu’un autre. Une pensée nuancée et empathique se développe alors chez le lecteur au travers des propos qui lui sont proposés. La situation reflétée fait ressentir un certain dérangement, que ce soit par empathie pour Livio dont on sent la vie basculer, pour la classe qui reçoit les propos sans savoir toujours comment y répondre adéquatement, ou un questionnement sur la réaction à avoir face aux différentes positions.
Toutefois, deux personnages ont également des rôles particulièrement déterminants dans la situation dans laquelle la classe est immergée. Il y a tout d’abord Camille, sa petite amie avec qui il partage une complicité très forte et qui se sent de plus en plus étrangère à Livio durant l’exposé. Ensuite, leur professeure d’histoire, qui tente de cadrer cet exposé en louant l’acte de Livio, tout en essayant d’éteindre les feux qui en découlent. Brigitte Giraud amène avec ces deux personnages des rôles médiateurs et réflexifs sur les différents regards portés à la situation de Livio.
« Amis », se contenta de dire Livio, qui n’osa pas prononcer le mot « amants » dans une salle de classe, « amis » c’était un mot plein de sous-entendus, qu’on pouvait tordre à sa guise et dont on ne sait pas, quand il est émis à voix haute, s’il est masculin ou féminin.
Une angoisse traverse tout le livre : la disparition de Livio. On ne sait pas ce qu’il devient après cet exposé, ce qui laisse le lecteur déboussolé. Cette fuite du personnage paraît difficile à interpréter et à accepter suite au courage et au charisme dont il a fait preuve en allant au bout de son exposé. En parlant de livres brûlés, de culture discréditée, Livio a enflammé cette classe, mais celle-ci ne lui a rendu qu’un silence de glace, lui demandant d’avaler l’aveu inconscient qui découle de ses mots et de son intérêt pour Magnus Hirschfeld. Le rôle que joue cet exposé dans la vie de Livio semble se distinguer trop brutalement d’un quotidien qui, pour certains, continue comme si de rien n’était (ce qui est le cas de ses parents qui ignorent l’importance de cet épisode dans la vie de Livio) et, pour d’autres, se fixe dans le temps sans retour en arrière (ce qui concerne Camille, sa petite-amie qui rencontre des difficultés à accepter cette nouvelle situation). Il y a un sentiment d’ascension personnelle qui traverse tout ce livre, une tension qui l’incendie petit à petit, mais qui consume finalement le personnage de Livio, piégé, avec comme seule issue l’exil. Il semble en tout cas ne plus trouver sa place dans le milieu dans lequel il vivait jusqu’alors.
Brigitte Giraud ose écrire tout haut, avec une plume franche et sobre, la question de l’homosexualité tout en abordant des faits historiques instructifs. Malgré une fin brutale et qui laisse le lecteur en suspens, c’est un livre qui laisse une trace, ou peut-être une brûlure…
Quant à l’exil, poursuivit Livio, on savait difficilement à quel moment il fallait s’enfuir, entre le trop tôt ou le trop tard, que fallait-il choisir ?