Keith Haring
Depuis décembre dernier, Bozar accueille les fresques et les toiles d’un artiste notoire dont l’œuvre est facilement reconnaissable : des contours aux traits épais, des figurations aux couleurs vives, des bonshommes qui gesticulent, des chiens qui jappent, le tout se perdant dans une effusion artistique spontanée voire agressive. Vous l’aurez compris, il s’agit du rebelle Keith Haring.
Keith Haring naît le 4 mai 1958 à Reading en Pennsylvanie et décède, atteint du sida, le 16 février 1990 à New York. Sa peinture est proche du mouvement de la figuration libre, oscillant entre graffiti et
bad painting
. De nos jours, on pourrait comparer sa posture à celle de Banksy, les deux pratiquant un art sauvage, urbain et populaire.
Dès son plus jeune âge, le peintre s'intéresse au dessin, s'entraînant avec son père. Il baigne dans la culture populaire de l’époque, dans la musique rock des années 70 et dans l’influence psychédélique. Haring puise son inspiration des bandes dessinées, des dessins animés, mais aussi dans les productions du mouvement CoBrA, un collectif d’artistes internationaux qui n’a duré que quelques jours.
Le jeune américain suit une formation en dessin publicitaire jusqu'en 1978 à la Ivy School of Professionnal Art de Pittsburg et étudie ensuite à la School of Visual Arts de New York.
Soucieux de toucher un large public, Keith Haring investit les murs du métro new yorkais avec ses « Subway Drawings », dessinés à la craie sur des panneaux publicitaires qu’il recouvre de papier noir.
Dessiner à la craie sur ce papier noir et tendre, c'était une toute nouvelle expérience pour moi. C'était une ligne continue, on n'avait pas besoin de s'interrompre pour tremper un pinceau ou quoi que ce soit d'autre dans la peinture. C'était une ligne continue, une ligne vraiment très puissante sur le plan graphique, et on était astreint à des limites temporelles. Il fallait travailler aussi vite que possible. Et on ne pouvait rien corriger. Il ne pouvait donc pour ainsi dire pas y avoir d'erreurs.
Derrière l'apparente insouciance de ses dessins, Keith Haring nous parle d'amour, de bonheur, de joie, de sexe, mais aussi de violence, d'exploitation et d'oppression.
L’artiste a collaboré et tissé une amitié avec Andy Warhol et de Jean-Michel Basquiat, désireux d’établir un lien fécond entre les beaux-arts et la culture populaire. Ses productions l’ont aussi amené à travailler avec des célébrités tels que Madonna, Grace Jones Leary ou encore William S. Burroughs.
L’exposition à Bozar, accessible jusqu’au 19 avril prochain, propose aux visiteurs de découvrir, au fil des salles d’exposition, plus de 85 dessins, peintures, vidéos, collages, fresques murales et documents d’archives.
Des œuvres performatives
La force du peintre réside dans la simplicité de ses œuvres. Tous ses bonshommes sont identiques, ils ne sont que des silhouettes vierges, immaculées, en lutte dans le tableau qui les encadre et qui, par l’épais trait du contour, semble vouloir leur dicter leur conduite. C’est peine perdue : les corps se rebellent, mués par des sentiments d’injustice divers. Une des toiles dénonce par exemple l’apartheid en Afrique du Sud et le racisme ambiant qui régnait dans la Big Apple. Une autre illustre les ravages du VIH, maladie taboue qui pourtant ravageait les jeunes homosexuels. Au fond, cette toile semble simplement traduire le ressenti de l’artiste qui se déclarait ouvertement gay.
L’absence de toute personnalisation des bonshommes, sans aucun trait distinctif, incite le spectateur à s’identifier à eux, en tant qu’individu, en tant qu’être humain. Rien n’est anodin, tout pousse à la réflexion voire à l’indignation. D’autant plus que les thématiques abordées demeurent très actuelles : les homosexuels, les noirs, les marginaux, les incompris, restent (encore), de nos jours, amalgamés, minorisés, marqués au fer rouge par le conformisme et le conservatisme.
Les toiles sont ainsi performatives. Les messages qu’elles délivrent sont forts : « Break weapons not spirits », « Silence = death », « Ignorance = fear ». La révolte est latente et traduit la volonté de l’artiste de s’impliquer dans les problèmes de son présent, de le secouer et de défendre sa cause : « ma contribution au monde est ma capacité à dessiner », disait-il.
Les points forts de l’exposition
Le plus de l’exposition ? Toutes les toiles de Keith Haring sont intéressantes et dignes d’intérêt en ce qu’elles dépeignent les tares d’une population et d’une époque. Ici, ce ne sont pas les 80’s pimpantes et disco que l’on peut observer mais bien la ville de New York sous ses jours sombres, frappée par les fléaux du racisme et de la séropositivité, entre autres.
Il y a des affiches, de toiles et des dessins pour tous les goûts et pour tous les âges, avec des sujets sensibles voire encore tabous aujourd’hui.