Nicolas Bedos signe son retour au cinéma, écriture et réalisation, avec La Belle Époque : dans la lignée de son film précédent, sans toutefois éviter quelques faiblesses, la magie opère et emporte son public dans une ode à la vie.
Victor (Daniel Auteuil) s’est fait dépasser par la vie, la modernité, la technologie, sa femme. Dessinateur de bandes-dessinées au rebut, ringard sexagénaire aux pulls miteux, à la barbe défaite, aux yeux las, il arrose le monde qui l’entoure d’aigreur piteuse, faute de n’y plus rien comprendre. Tout le contraire de Marianne (Fanny Ardant), sa femme, psychanalyste réputée, rompue à l’e-business, Jocaste en pleine crise de la soixantaine, obsédée par sa jeunesse perdue et lasse des jérémiades de son mari. Leur fils, Maxime (Michaël Cohen), entrepreneur dynamique, lancé notamment dans la réalisation de séries sur internet, retrouve sur un projet son ami d’enfance, Antoine (Guillaume Canet), la quarantaine tapée comme lui, que Victor appréciait beaucoup lorsqu’il était gosse, et qui lui rend la pareille maintenant.
Comment ? En lui faisant profiter d’une soirée télétransportée dans l’époque qu’il souhaite grâce à sa société « Les Voyageurs du temps ». Elle permet à de riches particuliers (10 000 € la soirée) de s’offrir un bond dans le temps, de passer la soirée avec Marie-Antoinette ou Adolf Hitler, avec costumes et répliques au cordeau, petits plats dans les grands, décors dignes d’un Hollywood de province française.
Victor choisit une soirée de 1974, précisément celle où il a rencontré le grand amour de sa vie, au café La Belle Époque, fumoir géant où il passait son temps lorsqu’il avait 25 ans et que tout paraissait encore possible, quand Marianne l’aimait et que l’insouciance régnait. Cette Marianne-là est interprétée par une actrice, Margot (Doria Tillier), dont le jeu trouble va peu à peu perturber Victor. Et lui rendre vie. Alors qu’elle-même entretient une relation tumultueuse avec Antoine.
Il y a du Monsieur et Madame Adelman dans ce deuxième long métrage de Nicolas Bedos. Parfois évident. Parfois indicible. Sans d’ailleurs que le cinéma du réalisateur-scénariste ne se prête encore à la théorisation. Difficile en effet d’appréhender les contours d’une œuvre en formation, dont les intentions stylistiques sont encore très (trop) visibles, dont la machinerie procure encore un plaisir démiurgique enfantin à l’auteur. La maîtrise, par contre, réside, sans surprise, dans les mots. L’auteur-dramaturge-chroniqueur-scénariste distille dans cette comédie dramatique enlevée son talent de dialoguiste acéré, de verbeux effréné, de salonnard névrosé.
Comme dans son premier long métrage, il est question d’amour passionnel, constructeur et destructeur, d’amour-haine en balancier entre cruauté et dévotion, entre un connard et une forte tête, entre un créateur irascible et sa belle – et non moins talentueuse mais vous avez vu comme elle est belle ? – petite amie, entre enfin des époux fatigués d’eux-mêmes devant retrouver un nouvel élan à leur passion de jeunesse, et puis bien sûr de temps qui passe et qui alourdit les êtres. Deux histoires d’amour en miroir : celle, passionnelle, des jeunes Antoine et Margot ; celle, fourbue, de Victor et Marianne.
Ces derniers résonnant quelque peu en miroir de Victor et Sarah Adelman, le couple passionné puis fourbu de Monsieur et Madame Adelman . Outre le prénom du personnage principal, la filiation avec le ballon d’essai de l’enfant terrible du gotha médiatique dans le monde de la mise en scène se marque encore par quelques autres clins d’œil. Une histoire d’amour qui démarre en 1974, Pierre Arditi et Denis Podalydès dans des rôles inversés (Arditi, père puis fils ; Podalydès, psychanalyste puis analysé), des mots coups de poings et des gestes fleurs, le sourire de Doria Tillier et son talent de transformiste, des acteurs monstres, du romanesque à couper le souffle jeté dans un tourbillon de folie et un torrent de mots.
Car l’objectif de Nicolas Bedos est d’abord d’emporter son public dans une ode à la vie, qu’il veut la plus folle possible. Alors, bien sûr, il en fait des caisses, n’évite pas les maladresses et les lourdeurs. Le rythme est effréné. Il y a peu de temps morts. Point de silence. Mais la magie opère. Et on se laisse guider volontiers dans cette valse hésitation à l’originalité vivifiante, dont on ressort avec le sourire et le cœur gros, gonflé à l’hélium logorrhéique bien connu de l’humoriste. Et puis, bon, pour la trop rare Fanny Ardant, le moins rare Daniel Auteuil (dans un bon rôle, ce qui est plus rare ces derniers temps), pour le sourire de Doria Tillier, pour le parfait Guillaume Canet en double de Bedos, pour l’attendrissant Pierre Arditi, pour le professionnel Podalydès, pour la verve de Bedos, pour les paillettes dans les yeux, pour la nostalgie dans la gorge, pour l’envie d’aimer en sortant. Le feel good movie , quoi. Ni plus. Ni moins.