Il est heureux, William Oldroyd. Incrédule aussi. Son premier long métrage fait le plein de festivals et de critiques élogieuses. Véritable succès de printemps, Lady Macbeth marque l’éclosion d’un réalisateur en même temps que d’une actrice. Double révélation – au moins – qu’offre le film britannique, qui a déjà récolté quelques prix pour l’image et la mise en scène, ainsi que pour la performance de Florence Pugh, the young lady .
Katherine (Florence Pugh) est seule. Délaissée par son mari arrangé, livrée à elle-même dans les étendues sauvages attenant au domicile conjugal, lassée de ces journées vides, à peine ravivées par ses promenades aux grands vents que la bienséance veut déjà lui enlever, elle enchaîne les aubes mécaniques, corsetée dans son rôle peu envieux de jeune maîtresse de maison du XIX e siècle anglais n’autorisant que peu de folie, si ce n’est la religion. Être vertueuse et régner sur les domestiques, tout en gardant à l’esprit le peu de cas fait de sa condition féminine, c’est tout ce qu’on lui demande.
Katherine joue le jeu. Un peu. Elle promène ses longues robes roides dans les grandes pièces froides du château, glaçant chaque objet de son regard franc. Mais la glace se rompt sous le feu avivé par la rencontre avec le nouveau palefrenier, Sebastian (Cosmo Jarvis). Avec Sebastian, naît la passion, puis la déraison, qui lui fera faire bien des choses inconvenantes…
Tiré de la nouvelle russe de Nikolaï Leskov Lady Macbeth du district de Mtsensk , le premier long métrage de William Oldroyd ose le film en costumes tendance victorienne à froufrous aseptisés. Ambiance ascétique, décors austères, silences circonstanciés. On est de suite frappé par la retenue de la mise en scène, léchée au demeurant. Le cadre calme le jeu, contient les mouvements, mesure le geste. Le réalisateur prend le temps de laisser évoluer ses acteurs, attentif à la transmission de leurs émotions, contemplatif de leurs introspections, excitatif de leurs émulsions.
William Oldroyd vient du théâtre. Une dizaine d’années à mettre en scène les plus grands auteurs dramatiques a poli son contact aux comédiens. Si bien qu’il en conserve une attention souveraine lors de la transition cinématographique. Le petit budget du film explique aussi l’organisation de répétitions importantes avant le tournage. Ne disposant que de peu de jours pour dire « c’est dans la boîte », le metteur en scène britannique a su tirer profit d’une préparation affûtée avant de passer aux choses sérieuses. Des conditions qu’il bénit d’un côté, conscient que cela l’a obligé à savoir exactement ce qu’il voulait puisque il n’y avait pas de place pour les essais ou l’improvisation, quelques prises par plan étant tout ce qu’il pouvait se permettre. Et à la fois qu’il regrette, curieux d’expérimenter plus un médium qu’il ne maîtrise pas encore, « to find the accident », dit-il. Son prochain film – car prochain film il y aura –, plus contemporain cette fois, lui laissera, espère-t-il, plus de latitude à ce niveau-là, même si « it is a luxury », reconnaît le réalisateur.
Car l’homme est sincèrement passionné par l’image vecteur d’émotions dont il aime tâtonner les possibilités, sur les bancs de montage par exemple, où il a pris soin de supprimer tous les dialogues superflus lorsque l’image parlait déjà d’elle-même (il n’y a cependant qu’une différence de vingt minutes entre le film juste après tournage et celui après montage). Une intelligence artistique dont on lui saura gré. L’envie de filmer le tenait depuis quelques temps déjà. Au cours de ses études artistiques, il a manié la caméra avec intérêt. Mais n’a pas poursuivi l’exercice professionnellement ; trop difficile d’accès et cher. Avec les années, le matériel s’est démocratisé. Il a acheté une caméra et tourné un court métrage en 2013, Best , qu’il a présenté au Sundance Festival. Le film a plu. On l’a exhorté à se lancer dans le long. Et voilà Lady Macbeth .
C’est un premier long métrage pour beaucoup de ses participants, notamment la scénariste, Alice Birch, venue du théâtre elle aussi, qui a mis la main sur la nouvelle de Leskov, l’a fait lire à Oldroyd, puis, avec sa bénédiction, l’a adaptée pour le cinéma en la transposant en Angleterre. Premier rôle principal pour l’admirable Florence Pugh également qui, du haut de ses dix-neuf ans, offre une interprétation d’une maturité étonnante. Premier film enfin pour la maison de production Sixty Six Pictures.
La réussite est au rendez-vous dans cette œuvre très bien pensée, très construite, très attentive à mettre en exergue la force de cette pionnière féministe, qui ne se laisse pas dicter son destin et n’hésite pas assumer sa passion dévorante pour le beau palefrenier de son époux, bravant la réprobation de son entourage sur fond d’injustice sociale. Florence Pugh donne toute sa vigueur à ce personnage complexe qui passe de l’ennui à la passion, de la cruauté à la provocation sans jamais s’abaisser à la compromission.
Gare à qui se met en travers de ce tempérament de feu dans un palais de glace.