Lorsque les miroirs deviennent nos pires ennemis, un seul message à retenir : ne vous perdez pas dans votre reflet ! C’est autour de cet avertissement peu commun que Loïc Nottet fait virevolter ses lecteurs, les transportant dans de folles péripéties qui colorent son premier roman jeunesse, Les Aveuglés.
Nombreuses sont les familles dévastées par les difficultés, la maladie ou pire encore, la mort. Néanmoins, lorsqu’elle survient une seconde fois dans la famille de Natan, cinq ans après la disparition de sa mère, le jeune lycéen mal dans sa peau se dit qu’il ne pourra pas s’en remettre. Fugue ? Meurtre ? Suicide ? Aucune hypothèse ne permet d’expliquer aux yeux du jeune homme la disparition soudaine de sa petite sœur, Théo. Dévasté, il refuse de faire son deuil et surtout de pleurer sur un cercueil vide. Face à l’absence de corps, Natan n’a qu’une pensée : sa sœur ne peut pas être morte, il faut qu’il la cherche ! Où qu’elle soit, il faut qu’il la sauve et cela, avec ou sans aide ! Il refuse de la laisser tomber comme semble le faire tout le monde, y compris son propre père. Natan est déterminé et cela même si ce sauvetage signifie faire face à ses pires peurs et devoir lutter contre sa pire phobie : le reflet du miroir. C’est en effet dans un univers où la peur et l’angoisse sont souveraines que pénètre Natan, accompagné de ses deux amis Penny et Miko, avec un seul but en tête : sauver Théo à tout prix. Aucun d’entre eux n’est pourtant préparé à ce voyage fantastique dans le domaine de Narcyss, qui va les bouleverser dans leurs idées reçues et leur perception d’eux-mêmes. C’est un récit fantastique revêtant par moments des accents détonants de satire de la société que Loïc Nottet offre à travers ce thriller adolescent, Les Aveuglés , où critiques et préjugés s’entremêlent pour se voir totalement déconstruits.
Maman m’a dit de ne pas m’approcher des miroirs, car il paraîtrait qu’à force de s’y regarder nos oreilles n’entendent plus et nos yeux ne voient plus que autour de nous, la Terre continue de tourner.
Présent sur tous les plans et n’acceptant aucune limite, Loïc Nottet incarne ce que l’on peut appeler un artiste complet. Chanteur et compositeur belge découvert lors de la troisième saison de la version belge du télécrochet The Voice , il connait depuis une carrière musicale florissante avec à son compteur trois albums, Selfocracy , Sillygomania et Addictocrate . Comme les noms de ses albums l’indiquent, Loïc Nottet, grâce à sa musique, dénonce et parle de sujets parfois lourds et mettant en lumière des failles de notre société mais également de notre humanité. Harcèlement, addictions, souveraineté de l’apparence sont autant de sujets délicats que le chanteur a décidé de mettre en musique et désormais en pages. En effet, après avoir conquis de manière grandiose les domaines de la danse, de la composition et du chant, c’est à la littérature que l’artiste à tout faire s’attaque aujourd’hui avec la sortie de son premier roman, Les Aveuglés – Le palais des murmures publié aux éditions Michel Lafon . Fantastique à souhait, cet ouvrage se veut un thriller adolescent plongeant le lecteur dans un monde détonnant mêlant contes et peurs d’enfants. Ainsi, destiné en premier lieu à un public assez jeune, le livre traite pourtant de thèmes sociétaux qui prennent de plus en plus d’ampleur de nos jours, notamment avec la médiatisation importante du harcèlement juvénile devenu fléau de notre société. C’est dans un univers fantastique des plus authentiques que Loïc Nottet propose donc à son lectorat de découvrir ses préoccupations et ce qui est et restera l’un de ses combats.
Suicide. C’est la lecture de son journal intime, renfermant toute la haine dirigée contre elle-même, qui avait achevé de convaincre les inspecteurs.
Pour un lectorat adulte, il est vrai que Les Aveuglés peut sembler très enfantin. Entrecroisant des récits venus de son enfance, Loïc Nottet propose aux lecteurs une littérature dans laquelle il partage ses combats, ses peurs et ses passions. Allant du conte de Peter Pan, cet enfant qui ne veut pas grandir, jusqu’à celui d’Hansel et Gretel, qui a traumatisé et fasciné de nombreux enfants, en passant par le mythe de Narcisse, l’ouvrage dont il est question ici est une réelle toile d’araignée dont il n’est pas facile de se dépêtrer. Un univers aux influences enfantines, adolescentes et très hétéroclites est créé ici dans le but de faire passer une critique de la société qu’un lecteur mature peut facilement déceler. La peur de grandir, la peur du jugement, la peur de la peur elle-même sont mises en avant d’une manière très légère, parfois un peu trop, pour que cela reste un roman tout public. Par conséquent, il est par moments difficile de savoir comment se positionner, en tant que lecteur, face à ce roman qui se veut satire et divertissement.
― Il a construit ce palais pour “s’amuser”. Et devinez ce qui l’amuse ? La peur, nos peurs et nos angoisses à tous. […] On est bien au-delà de la phobie […]. Personne n’est au-dessus des émotions…
Bien que savamment rédigé et prometteur pour un premier roman, ce n’est pas de la grande littérature qu’il faut rechercher ici. Les tournures de phrases restent simples et la trame de fond bien que fantastique n’est pas originale. La valeur de ce roman n’est donc pas à aller chercher dans la forme mais plutôt dans le contenu. En effet, le message malgré le style d’écriture parfois rudimentaire est très puissant. Les adolescents présentés dans ce roman se veulent les égéries d’une génération en souffrance qui n’osent plus être elles-mêmes par peur du jugement. Ce même jugement qui est critiqué ici à travers les miroirs et ses reflets ne semblant renvoyer comme image que ce qui est dit et pensé de nous mais pas ce que nous sommes vraiment. C’est sur cet aspect que l’ouvrage devient réellement touchant. À un âge où l’on croit plus aux apparences qu’au reste, c’est un entre-deux qui prévaut. En effet, l’adolescence est une période de changements, de quête et de questionnement durant laquelle la moindre critique peut être fracassante. C’est le poids derrière cette période de vie et tous les déséquilibres qui l’accompagnent que Loïc Nottet dépeint dans son œuvre tout en nous faisant part de ce syndrome de Peter Pan qui le fascine tant.
Regarde-toi… Ces cuisses de poulet, ce corps de vermine… Tu n’as rien d’un homme, rien de viril, rien de puissant, rien du tout. T’es juste une larve à la voix de fille, même tes cordes vocales ont raté leur puberté, entendit Natan. Qui parlait ? Était-ce sa propre pensée qui résonnait à l’intérieur de son crâne ?
Le pire ennemi peut être au plus proche de nous, présent dans nos têtes et dans notre esprit. C’est cela que l’auteur semble vouloir mettre en avant : à travers ce thriller fantastique, il démontre à son lecteur que créer des univers peuplés de nos peurs et de nos angoisses peut sembler simple mais que lutter au sein de cet univers qui est pourtant nôtre pour se surpasser est bien plus compliqué. Face à nos propres pensées, nos propres perceptions de nous-mêmes et du monde qui nous entoure, nous sommes les seuls maîtres : toutes les clefs sont dans nos mains, à nous d’avoir la force et le courage de nous en servir. Il est parfois dur pour un adolescent comme pour un adulte de passer outre le regard des autres dans une société où les réseaux sociaux et le mode de vie mettent un point d’honneur à faire des apparences la norme. Néanmoins, le message des Aveuglés est inspirant : ne vous perdez pas dans votre reflet, il ne sera jamais l’image authentique de ce qu’une personne est réellement. Cette image, chacun d’entre nous est le/la seul(e) à la contrôler et c’est une force que rien ni personne, même le roi d’un univers fantastique tout-à-fait loufoque, ne pourra jamais nous enlever.