Avec ce roman d’internat teinté de fantastique, l’autrice jeunesse Aylin Manço nous fait vivre ou revivre la frénésie des premiers émois adolescents.
Il y a maintenant un an et demi, je me lançais dans ma toute première expérience de bêta-lectrice avec Les Éblouis, le troisième roman d’ Aylin Manço . Lire un bouquin de 381 pages au format PDF sur l’écran de mon téléphone n’a pas été de tout repos, mais cet été, j’ai enfin reçu ma copie : un joli broché aux détails dorés dans les pages duquel je me suis empressée de replonger.
En 2019, déjà, lors des ateliers d’écriture organisés par l’Association PJE, Aylin évoquait son projet d’écrire un « roman d’internat ». Cette expression, pourtant inventée, faisait sens. Elle évoquait pour moi la forme la plus extrême du roman d’apprentissage : pas de parents pour surveiller, le terrain idéal pour la transgression et les premières expériences.
Aylin Manço : Je pense que ce qui fait pour moi un roman d'internat, c'est l'aspect « bande d'ados ». On ne suit pas un seul personnage, mais plusieurs, qui s'entrechoquent, s'engueulent, tombent amoureux, etc. Et puis, plus prosaïquement, c'est un moyen facile de se débarrasser des parents.
Alors, la vie d’internat, fantasme ou témoignage ?
Aylin Manço : Je n’ai jamais été interne, mais ça me faisait effectivement fantasmer. J'avais lu très jeune l'autobiographie de Roald Dahl, Boy, où il raconte son passage dans des internats anglais très durs, ainsi que plein d'autres romans plus modernes où les élèves menaient des enquêtes, sortaient la nuit dans les couloirs, montaient des canulars et des sociétés secrètes, etc. En réalité, ça ne m'aurait pas du tout plu d'être interne, mais en fiction ça me semblait la porte ouverte vers l'aventure ! À 19 ans, je suis entrée en école d'ingénieur, où tout le monde vivait sur le campus, je me suis dit, naïvement : « Allez, c'est ma dernière chance de vivre ça. »
Les Éblouis retrace l’arrivée de Luce à l’internat de Jamet. La jeune fille au fort tempérament quitte le cocon maternel quelque peu étouffant pour trouver sa deuxième famille, un groupe solidaire composé d’Alex, Timo, Sara, Nolan, Justin, É lise et Nour. Tour à tour, le récit s’invite chez chacun des personnages pour révéler des personnalités complexes, attachantes et surtout réalistes. À la lueur des cigarettes clandestines, les premiers émois se font ressentir. Mais c’est sans compter sur l’apparition du mystérieux Gus, que seule Luce semble voir, ni sur les étranges pouvoirs qui investissent chacun de ses amis…
Coutumière du geste, Aylin Manço enveloppe de fantastique un récit sensible et réaliste , proche de ce qu’est vraiment l’adolescence : une période de chaos émotionnel et sensoriel, dont les premières expériences sont restituées, sinon crûment, avec une justesse folle. Évoquant la question du désir et des relations dans tout ce qu’elles ont d’imparfait, l’autrice permet un dialogue très intense entre ces tranches d’intimité, et les phénomènes surnaturels vécus par chacun, jusqu’à en faire de véritables extensions métaphoriques de leurs émotions.
Aylin Manço : C'est difficile de choisir un seul héros, je trouve tous mes personnages touchants. Je vais citer les filles : Alex, avec la découverte de son désir pour les filles ; Luce, qui se démène avec ses pulsions ; Nour, qui veut absolument comprendre ce qu'est l'amour, quitte à le forcer... Mais je pense que celui qui m'a fait le plus mal au cœur à l'écriture, c'est Gus, qui passe des années fou amoureux d'un souvenir.
Entre euphorie et gravité, j’ai été emportée par ce roman qui partage avec Le Grand Meaulnes un fond doux-amer. Pourquoi cette référence ?
Aylin Manço : Sans trop en révéler, je me suis arraché les cheveux sur l'histoire du fantôme : qui hantait-il ? Pourquoi était-il là ? Que voulait-il ? J'avais tout le reste de l'intrigue avec la bande d'ados à l'internat, je savais qu'il y aurait un fantôme, mais je n'arrivais pas à lier les deux pans du roman. Et puis je me suis souvenu du Grand Meaulnes : c'est une histoire où un garçon rencontre une fille pendant dix minutes, et puis la cherche pendant plusieurs années. Je trouvais ça vertigineux, comme niveau de fantasme et d'obsession. Je me suis dit qu'Augustin Meaulnes ferait un bon fantôme. Et je n'en dirai pas plus, il faut lire le livre pour savoir !
Le Grand Meaulnes semble effectivement être devenu, avec les années, une sorte de mythe, d’histoire universelle dans laquelle plusieurs auteurs aiment à puiser leur inspiration pour parler d’un amour déchirant, irréel. Pour ne pas le citer, Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2019, est une autre réécriture très puissante de cette fable amoureuse , à lire absolument (juste après avoir dévoré Les Éblouis bien sûr).
Les Éblouis est disponible en librairies depuis le 5 octobre : de quoi bien commencer cette spooky season 2022.