critique &
création culturelle

Les Nuits Botanique, jour #6

Deux affiches et deux salles pour une nuit contrastée

Notre dernière Nuit Botanique, avec ses deux affiches aux antipodes de genre et de lieu, promettait de briller par son éclectisme. Et c’est chose faite : le Chapiteau a décollé sous la puissance d’Aime Simone pendant que Françoiz Breut hypnotisait le Museum. Navigation délicate entre deux affiches hautement attractives, pour une Nuit Botanique des plus contrastées.

Mardi 30 avril marquait notre dernière soirée aux Nuits Botanique, placée sous le signe de l’éclectisme, avec des talents pour le moins variés (et un léger pincement au cœur). Si deux affiches très qualitatives se chevauchent, impossible de se tromper. Mais le choix à poser n’en reste pas moins douloureux. S’arracher à contre-cœur d’un concert pour arriver à l’autre bout des jardins en apnée à la moitié d’un autre ou profiter d’une partie de l’affiche en réactivant au passage notre FOMO1 ? On a tout misé sur la deuxième option et une stratégie vieille comme le monde : diviser pour mieux régner. Entre le combo Eugénie – Johnny Jane – Aime Simone (au Chapiteau) et le trio Garance Midi – Solann – Françoiz Breut (au Museum), notre choix s’est porté pour le premier afin d’avoir une chance d’écouter une partie de la tête d’affiche du second trio, Françoiz Breut. Retour sur une nuit haute en couleur qui nous a transporté dans des univers variés.

Eugénie et sa pop intuitive

Arrivée tardive oblige (fatum), on loupe de peu – et à regret – la chanteuse électro-pop française, Eugénie, dont on capte tout de même le joli timbre affirmé, au travers de la grande toile blanche du Chapiteau. On recommande « Tears for Breakfast » sortie de son EP de 2022 Moment in Time, qui chante l’amour (aux accents R&B sur une toile de fond très drum’n’bass) et l’énergie communicative de « Popstar shit. », tirée de son dernier EP sorti en 2024 pour ses influences rap indéniables (qu’on a écouté en boucle). La chanteuse à la crinière blonde (vénitienne) vaut qu’on s’y attarde au moins le temps d’une écoute : elle compose et écrit elle-même ses chansons en anglais ou en français et a collaboré avec Elephanz sur le titre «Maryland », ce qui lui a permis de décrocher son premier disque d’or. Elle aime dire que son univers hybride est « multi-pop » vu la diversité des influences qui infusent sa musique (tout ça, à même pas 30 ans). À suivre de près donc, pour un vent de fraîcheur.

Johnny Jane, jeune étoile pop-rock

20h00, le Chapiteau est prêt pour accueillir Johnny Jane ‒ dont le portrait arrive dans un prochain papier. Mais on peut d’ores et déjà vous le dire (sans spoiler) : avec sa moue boudeuse et son attitude de rock star d’une autre époque, il a rempli le Chapiteau d’une joyeuse mélancolie qui a mis la barre haut pour le reste de la nuit.

Post-pop décontractée signée Aime Simone

Et la soirée n’a fait que monter crescendo avec l’arrivée d’Aime Simone sur le coup des 21h. Coupe au bol façon mulet, muscles saillants couverts de tatouages et assurance XXL avec un look alternatif fait d’un short et d’une écharpe oversize dont ils s’enveloppe comme d’une cape, l’artiste franco-norvégien a rempli la scène de son style singulier et ses ondes positives.

En posant sa « pop mélodieuse mâtinée d’électro » assez épurée (guitare-voix) sur des textes très personnels, il chante avec allégresse la résilience (ou autrement dit, « transcende les blessures du passé » derrière une apparente gaieté). Son style n’appartient réellement à aucun autre et emprunte un peu à tous. C’est un mélange de pop, de rock alternatif, d’électro, de trap et de punk qui nous balade dans beaucoup de registres et qu’il qualifie lui-même de « post-pop ». Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Et dès les premières secondes, on a senti monter ce sentiment de volupté et pour se retrouver littéralement immergé dans des volutes de fumées.

Ce qu’on retient de son show, c’est un débordement d’énergie feel good. Un charisme qui donne l’impression qu’il est né sur scène, espace qu’il occupe en sautant d’un bout à l’autre avec un naturel déroutant. Malgré un décor rudimentaire ‒ il est complètement seul avec en tout et pour tout un micro ailé (oui vraiment) ‒, les jeux et lumières habiles et les fumigènes remplissent tout l’espace devant une salle fascinée. Il n’est pas avare en échanges avec le public qu’il taquine (« à celle-là vous l’attendiez tous »), parle de l’évolution de son style et bien sûr l’exhorte à de multiples reprises à chanter (« j’adorerais voir tout le monde sauter avec moi »). Grâce à une setlist étudiée avec soin, il traverse toute l’étendue de son répertoire musical, des titres les plus doux (tels que « Answer The Night » et « In This Dark Time ») aux morceaux gorgés d’énergie qui culminent avec le très attendu « Shining Light » (plus de 28M de streams) et sa reprise de « As It Was » d’Harry Styles. La température sous le Chapiteau ne cesse de monter et on se dit qu’on n’aurait franchement pas voulu être ailleurs. Et puis, il fallait s’y attendre, après une énième parade pour distraire la foule, il se retrouve en une fraction de seconde à slamer sur un public irradié de grosses basses. C’est l’explosion et on n’en attendait pas moins de l’auteur de Oh Glory.

L'envoûtement façon Françoiz Breut

Changement d’ambiance à 360° : lumières tamisée, public silencieux presqu’immobile devant Françoiz Breut et son armée de musiciens. Son chignon protubérant et aérien plane au-dessus d’elle, pendant qu’elle chante et danse sensuellement sur une « petite cavale animale » qu’elle invite son public à accompagner de bruits ou de cris. Pas de place au doute : on est face à une artiste de chanson française qui n’est pas venue pour présenter des tubes commerciaux sur un plateau doré.

Propulsée dans l’univers musical au début des années 90 par son ancien compagnon Dominique A, la chanteuse est une artiste multidisciplinaire d’abord formée aux arts plastiques qui a développé au gré des rencontres une carrière solo riche et a aussi prêté sa voix à des artistes bien connus tels que Philippe Katerine ou Yann Tiersen. À l’image de son parcours hétérogène, son style est sophistiqué (avec des albums tels que Flux Flou de la Foule et Chirurgie des sentiments). Il s’inscrit dans un courant alternatif de chanson française, qui reste assez pop malgré quelques accents puisés dans la musique électronique pour ses derniers albums. Son univers ressemble à un cabinet des curiosités, où il n’est pas toujours facile de se frayer un chemin.

Dans la salle du Museum, l’ambiance est feutrée, quelques néons à peine éclairent la scène devant un public qui ne lâche pas Françoiz des yeux et hoche la tête en cadence. Et c’est après avoir traversé l’averse qu’on arrive à se faufiler entre les fans hypnotisés, franchement pas tout à fait sur le même diapason. On se laisse malgré tout happé par cette atmosphère difficile à décrire, la qualité des textes, sa diction particulière, les percussions omniprésentes, la subtilité des ambiances créées dans les morceaux et ses mercis susurrés qui fusent généreusement. Sa musique a quelque chose d’intemporel et d’austère, qui a maturé longtemps avant d’être produite sur scène et qui tranche, évidemment, radicalement avec la tête de liste du Chapiteau qui rejoint plutôt les rangs des artistes dans le vent qui produisent de façon plus prolixe. Ce qu’on retient de Françoiz Breut, c’est sa prestation hypnotique et l’atmosphère confidentielle qu’elle a créée. Elle clôture ces Nuits Botanique avec personnalité et confirme à quel point il y a du beau dans la diversité.

Même rédacteur·ice :
Voir aussi...