L’iMAL
En 2015, Karoo explorera toutes les nouvelles formes de créations numériques. Webdesign, glitch art, impression 3D… il y en aura pour tous les goûts ! Mais avant de se plonger dans ces univers particuliers, nous avons rendu visite à Yves Bernard, directeur de l’iMAL, à la découverte de l’histoire et de l’actualité de ce lieu pionnier.
Promenade le long du canal de Bruxelles, à deux pas des boutiques chics de l’avenue Dansaert et des quartiers populaires de Molenbeek. Au numéro 30 du quai des Charbonnages, on pénètre dans l’iMAL, l’Interactive Media Art Laboratory . Un lieu d’exposition, mais également un atelier, le Fablab , Foyer bruxellois des arts numériques. On y rencontre Yves Bernard, son fondateur et son directeur, un pionnier dont la passion est restée intacte.
Lançons notre conversation avec une question toute simple : depuis quand existe l’iMAL ?
L’iMAL existe depuis 1999, même si l’asbl a été créée en 2000, à partir du constat qu’il n’y avait pas de lieu qui permette aux artistes d’expérimenter à partir des nouvelles technologies. C’était d’abord dans les bureaux de Magic Media, ma
boîte
.
On a commencé par un gros projet sur Bruxelles 2000
– pour rappel, Bruxelles était cette année-là capitale européenne de la culture avec Helsinki –, dont l’objectif était de produire une série de pièces multimédia et de les exposer tant à Bruxelles qu’à Helsinki. Nous sommes ensuite arrivés en 2003 au centre Dansaert, puis nous avons pu nous installer ici, quai des Charbonnages, en 2007.
Comment vous êtes-vous personnellement trouvé à l’origine de ce projet ?
J’avais créé un des premiers studios multimédia qui faisait à l’époque des CD-Rom pour la culture. C’était une des premières entreprise à posséder un serveur web. Auparavant,
j’avais été chercheur en informatique et en architecture
, notamment au laboratoire de recherche de Philips. Cela étant, j’ai depuis toujours entretenu des contacts avec des artistes, dont certains utilisaient déjà l’ordinateur ou en avaient la curiosité. L’iMAL répondait à cette demande des artistes d’apprendre, d’expérimenter, de créer.
Les arts numériques étaient très peu connus à l’époque.
Oui, alors nous sommes allés à la rencontre de l’institutionnel. Ce qui a permis à la Communauté française d’entamer une réflexion sur ces pratiques émergentes. Nous y avons trouvé
des interlocuteurs de qualité, comme Xavier Canonne qui était à l’époque en charge des arts plastiques
, et cela a débouché sur la reconnaissance du secteur en 2006. Au départ, nous devions chaque fois trouver de nouveaux lieux pour nos expos. Nous avons donc investi des endroits incroyables, mais nous avions besoin de plus de stabilité. Lorsque l’on a trouvé ce lieu-ci, nous avons pu signer une convention avec le ministère de la Culture, Fadila Laanan ayant compris et soutenu notre projet.
Quels étaient, concrètement, les objectifs de l’iMAL ?
Dès le début, l’idée était d’
organiser des ateliers et des expositions
. Nous avons donc été parmi les premiers à organiser des ateliers autour du numérique, par exemple sur Processing1
dès 2003. On le faisait dans des appartements à ce moment-là… Et puis nous désirions aussi
offrir un lieu avec des machines
, où tout un chacun puisse chipoter, tester, créer. Un lieu permanent rend bien entendu les choses plus faciles.
On en parle comme d’une évidence, mais que recouvre l’art numérique ?
Il y a eu longtemps une confusion avec la vidéo. Il fallait donc identifier les spécificités d’un domaine : l’interactivité, l’existence d’un processus de programmation, des œuvres qui vivent sur ordinateur, entre autres.
Aujourd’hui, la définition est beaucoup plus large, il n’y a d’ailleurs parfois plus d’ordinateurs qui interviennent directement, mais c’est toutefois toujours produit à travers des processus typiques du monde numérique.
À terme, le numérique intègrera complètement les arts plastiques. Beaucoup d’artistes utilisent bien entendu des ordinateurs mais certains explorent la nature même du médium, la programmation, l’interaction (homme-machine ou machine-machine), les réseaux, et posent ainsi des questions sociétales ou politiques. Les technologies s’additionnent en couches successives, historiques et culturelles, et les artistes jouent à les mélanger et à les faire dialoguer.
Un travail typique du numérique est par exemple celui de Lia . C’est une artiste autrichienne active depuis quinze ans. Elle présente aujourd’hui des sculptures, qu’elle place dans des boîtes d’entomologiste. C’est fondamentalement un travail issu du numérique, même si le résultat final est une sculpture, certes imprimée en 3D.
On serait tenté de croire que ces artistes sont aussi des ingénieurs ou des informaticiens.
L’artiste d’aujourd’hui doit connaître les technologies s’il veut aller au plus loin dans son art, d’où la formation et les ateliers. Bien sûr, ensuite, ils vont pouvoir confier certaines tâches à des ingénieurs, mais
ils doivent au moins comprendre comment ça marche pour avoir des idées et afin d’être en mesure de dialoguer avec les techniciens ou les informaticiens.
Il y a désormais des sections d’art numérique dans les écoles supérieures. Ces écoles ont leurs propres moyens, mais aussi leur propre inertie, donc on est là pour prolonger et compléter les moyens des écoles. Cela passe notamment par la coproduction d’ateliers ou tout simplement par le fait d’aider des étudiants à concrétiser leur projet.
En les accueillant au
Fablab
?
Oui, le
Fablab
leur est bien entendu ouvert. Le
Fablab
est un atelier de création numérique créé en 2012. Il est né d’une réflexion sur les pratiques des artistes numériques. Ils étaient plusieurs à avoir envie de faire autre chose que de la projection sur écran. Ils désiraient revenir à du tangible, et c’était une tendance générale.
Le Fablab propose donc un ensemble de machines de fabrication numérique pour des gens qui ont envie de retourner vers de la matière, des objets. Dès 2010, on a soutenu des artistes qui se servaient de telles machines. De là l’idée qu’il fallait un Fablab , qui ouvre aussi le lieu à d’autres dimensions que l’art stricto sensu , comme les innovations sociales, les relations avec le local, le quartier. Étant ouvert à tous, ça élargit la communauté des créatifs : on y retrouve des artistes, mais aussi des designers ou simplement des curieux, des jeunes comme des retraités.
Pourtant le grand public associe encore l’art numérique à « l’abstraction du web ».
C’est pourquoi il faut aussi des lieux où les gens se retrouvent : beaucoup de gens n’ont pas envie de passer leur vie scotchés à leur écran, justement parce qu’il y a un besoin de se rencontrer face à face, au-delà du web.
En pratique, quelles sont les activités du
Fablab
?
Nous proposons trois types d’activités : d’abord
n’importe qui peut s’inscrire
et y venir lors des jours d’ouverture, on ne demande pas d’avoir un projet – on paie sa cotisation, comme à l’académie, et on peut utiliser les machines ; ensuite, il y a
des résidences d’artistes
; et enfin
les ateliers
pour toutes sortes d’institutions et d’écoles, soit une dizaine par an. Toutes nos activités sont présentées dans la section
Wikimal
de notre site : on y partage tout ce qui se fait. Bien entendu, on ne laisse pas les gens démunis face aux machines. On leur propose un cours de trois heures et il y a toujours un
labmanager
présent pour les aider. Tout un chacun peut ainsi apprendre à faire fonctionner puis utiliser une imprimante 3D, une fraiseuse numérique ou une découpe laser.
L’iMAL, enfin, est également une sorte de musée vivant ?
Oui, nous insistons sur notre mission d’archivage et de mémoire numérique. Entre autres en prenant la peine, et le temps, de
mettre à jour tous les sites qui ont été réalisés
depuis le lancement. On a toujours fait des vidéos de tous nos projets et on les rend disponibles en ligne. Tout cela fait partie de la culture numérique et doit absolument être préservé. C’est la mission d’un centre d’art aujourd’hui.
C’est important d’enregistrer ces pratiques, aussi pour permettre aux jeunes de comprendre ce qui a déjà été fait et de réaliser que leurs idées ne sont pas toujours originales ou novatrices. D’autres y avaient déjà pensé et les avaient déjà mises en œuvre. C’est donc un moteur pour aller plus loin. La culture du numérique manque paradoxalement de mémoire et c’est un rôle important que nous avons à jouer. Cette réflexion est liée à la question de la pérennité des supports, des mémoires, et de l’évolution des technologies. Qui n’aura pas eu l’opportunité (le temps ou l’argent) de rafraîchir ses créations sur de nouveaux supports, celui-là verra ses œuvres disparaître. Ce sont les nouvelles problématiques de la transmission et de la préservation.
Plus d’infos sur le site de l’iMAL .
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