La deuxième édition de Littérature Supersport s’est tenue le 18 février à la librairie Par Chemins. Une série pluridisciplinaire de lectures-teufs au rythme sportif, 5-10 minutes top chrono par intervention, un·e artiste dans les starting blocks , trois, deux, un… go ?
Si le concept vous paraît flou, sachez que nous sommes logés à la même enseigne : qu’est-ce qui peut bien lier le cinquième art et le sport ? Pourquoi ce choix ? Dois-je enfiler un survêtement pour m’y rendre ? Suis-je assez en forme pour un tel rendez-vous ? Voilà les premières questions qui traversent mon esprit avant de me rendre à cette soirée hybride. Sans trop réfléchir, je me lance et décide de me laisser porter par cet entraînement atypique.
Échauffement
L’événement qui attise ma curiosité ce soir à lieu à la librairie associative Par Chemins. Géré par une quinzaine de membres bénévoles, le lieu propose une sélection de livres neufs et d’occasion mais se veut également un espace de rencontre, débat et pratique critique.
Lorsque j’arrive au 116 rue Berthelot à 20h04, un (gros) retard est annoncé et la désorganisation est palpable. Mais l’excitation d’assister à une soirée hors des conventions et de mes habitudes me fait vite oublier cet imprévu. Le cadre dans lequel nous sommes reçu·es est celui d’une maison bruxelloise. Après avoir longé le couloir, j’entre dans une pièce à deux niveaux où quelques moulures se laissent deviner sur les hauts plafonds. Il y fait doux ‒ bientôt très chaud ‒ et les lumières jaunes/orangées de la maisonnée créent une ambiance très agréable. Çà et là, quelques guirlandes et une boule à facette qui a, semble-t-il, bien vécu, viennent réveiller cet ensemble quasi monochrome. De jolis tapis persans aux couleurs vives jonchent le sol et laissent apparaître la petite scène où les artistes viendront faire leur cardio. Pour l’occasion, la cuisine ouverte fait office de bar, plusieurs personnes de l’association s'y affairent du mieux qu'elles peuvent pour servir les premiers arrivés faisant la file pour un verre. Certain·es ont joué le jeu et portent des tenues d'entraînement flashy, d’autres sont plus endimanché·es. Assez rapidement les lieux se remplissent et les quelques places assises aussi. Par chance, je réussis à me faufiler près de l’escalier situé face à la scène et attend le début des performances. Ce n’est que vers 21h15 que la soirée débutera réellement, devant une salle on ne peut plus remplie, quelque peu impatiente d’entamer la course
Abdos
Il n’est jamais simple, à mon sens, d’ouvrir une soirée. Cette place donne le ton et l’occuper est une forme de responsabilité. Pourtant, quand
Zaïneb Hamdi
prend le micro, aucun doute ne subsiste. En partant de la prononciation de son prénom, elle fait défiler avec assurance une histoire d’origine, d'identité, de féminisme et de colère particulièrement puissante. Elle est incisive dans ses propos et sa diction nous remet les idées en place. Je suis, tout comme l’assemblée, pendue à ses lèvres, à la fois étonnée, amusée et captivée par cette entrée en matière.
J’ai à peine le temps de reprendre mes esprits, car comme annoncé en début de soirée, le rythme est sportif et c’est déjà au tour de
Lou Kanche
. L’auteure de
Rien que le soleil
se distingue dans un style beaucoup plus sobre et vient chatouiller nos entrailles avec un texte fort, une cadence bien plus lente et un phrasé
chétif.
Enfin, Selçuk Mutlu se charge de clore ce premier set avec une lecture quelque peu laborieuse, tant sur le fond que la forme. Le public s’y perd un peu mais ne lâche pas pour autant, l’endurance semble être un des maîtres mots de la soirée.
Cardio
Après une pause nécessaire pour le repos des muscles et l’hydratation des corps, la soirée reprend avec la performance de Justine Gensse x le bisous. Elle dresse pour nous un tableau chafouin et provocateur, un méli-mélo de considérations drôles et osées pour nous mettre au défi de tenir la cadence. Pour ne rien râter, il y a tout intérêt à rester
focus
tant le propos est dense, tantôt flagrant tantôt subtil. Ce n’est sûrement pas un hasard que la lecture se termine par la dégustation d’un gâteau : glucose et concentration font la paire. Je reprends place, des morceaux de fondant glissant entre mes molaires, prête pour la cinquième intervention de la soirée, probablement une des plus impressionnantes d’après moi. Marine Forestier partage un extrait de sa nouvelle
Gilda dentata
, une histoire qui met en exergue sa technique d’écriture et de déclamation en réunissant sa passion pour la science-fiction et l’endodontie1
. En s’appropriant le vocabulaire technique de cette spécialité, elle transforme l’acte médical en une épopée lyrique, truffée d'allitérations saisissantes. Si c’est elle qui fournit l’effort, on ressort toutefois haletant·es de cette lecture courte mais intense.
Puis,
Maud Joiret
prend les choses en main avec un texte poignant portant sur la condition féminine et les menaces autour du droit à l’avortement. Sans difficulté, elle jongle entre vérités affligeantes, pointes d'humour et gouttes d’espoir ; les corps se relèvent et sont
gainés
grâce à l’assurance qui émane de cette lecture.
Enfin, Phosphore clôt la deuxième partie des performances avec un
spoken word
/rap. Accompagné d’un trompettiste, le chanteur lyonnais dompte les mots à la perfection. Il allie amour de la langue française, philosophie, poésie et textes engagés, tout en me rappelant mes premiers émois au théâtre par son talent et son énergie.
Étirements
Quand vient le tour de la performance sonore d’Hannah Todt, mon corps ankylosé m’envoie le signal qu’il est temps de rentrer. Long couloir, porte d’entrée, le vent frais de février me claque la bise une seconde fois et la marche vers l'arrêt de bus prend des allures d’étirement musculaire. Mentalement, je commence à métaboliser les informations de cette soirée atypique et petit à petit, les liens qui unissent le sport et la littérature également. L’un comme l’autre sont une forme d’exutoire et requièrent un véritable effort. Qu’il s’agisse de se mettre à nu en parlant de soi face à autrui ou que l’on souhaite faire travailler notre corps, sport et littérature tracent un chemin vers le dépassement de soi en puisant dans des qualités telles que le courage et la persévérance. Enfin, cette soirée nous rappelle que de très belles choses naissent du goût de l'effort. Car l’effort est une nouvelle perspective, une invitation à prendre du plaisir en surmontant les difficultés.
Pour être au courant et participer aux prochains entraînements à venir, rendez-vous sur les réseaux de Littérature Supersport et de la librairie Par Chemins .