Louise Barreau et Albin de la Simone
Toujours pas sortis de la FrancoFaune

Entre la révélation électro-poétique de Louise Barreau et la nostalgie transcendante d’Albin de la Simone, FrancoFaune a offert le 7 octobre dernier à l’Espace Lumen deux performances où l’intime a tutoyé la mélancolie, et par laquelle la douceur s’est exprimée de toutes ses forces.
Il est des festivals plus attachants que d’autres. Par son caractère intimiste et la diversité des expériences qu’il propose, FrancoFaune fait partie de ceux-là, depuis plus de douze ans.
Le 7 octobre dernier, dans la salle feutrée de l’Espace Lumen, à deux pas de la place Flagey (Ixelles), Karoo s’est installé face à une scène qui s’est vite muée en salon d’artistes. Au programme, deux spécimen francophones à garder dans le viseur – si vous ne les avez pas encore apprivoisés : Louise Barreau, en première partie, et Albin de la Simone, en tête d’affiche.
Louise Barreau ou la douceur à l’état brut
« Artiste belge à la croisée de la chanson française, de l’indie et de brumes électroniques aux teintes vintage », Louise Barreau arrive sur scène accompagnée de David Picard au piano. Dès les premières notes, on est bousculé par l’étonnante justesse de sa prestation et, par-dessus tout, par la puissance de sa douceur. Qu’il s’agisse de la rythmique de ses textes, des mots choisis, de la pureté cristalline et parfois légèrement éraillée de sa voix, tout chez Louise Barreau est magnétique.
Si ses premiers pas sur scène ont été un peu timides, la réserve s’envole vite sur « Morticia » et sa descente dans le public. Son nouvel EP ne sortant qu’au printemps prochain, la plupart des titres joués étaient de très belles découvertes. Des mélodies entraînantes, une voix qui marque et une écriture aussi poétique que chargée de sens.
Elle nous attrape ensuite dans l’ironique « Chasse aux garçons », où sa voix se mêle dans un long crescendo aux claquements du public. L’énergie et le cadre ne se prêtent pas franchement à une grande effervescence, mais sa présence ne laisse pas les fans indifférents (auxquels on s’associe sans rougir). Et puis vient « La Maison », titre inédit qu’elle dédie « aux personnes dont le corps est un débat aujourd’hui » – notre coup de cœur absolu (à paraitre prochainement) et sans doute l’un de ses morceaux, pour sa progression et la thématique abordée, les plus touchants. Le public retrouve évidemment avec une joie non feinte « La Petite Valse » de clôture (très attendue), chanson écrite pour signifier au monde qu’elle aime sa vie à Bruxelles, où elle réside depuis 8 ans (étant originaire de Namur).

Entre mélancolie et onirisme, cette performance d’une grande qualité pour cette jeune artiste émergente – qui fera prochainement la première partie de Clou le 5/12 à Namur – nous a envoûtée en un claquement de doigt. On trépigne d’impatience pour la sortie de son prochain EP.
Albin de la Simone, la nostalgie à main levée
Seul sur scène, Albin de la Simone prend place dans l’obscurité totale. Du haut de ses 20 et quelques années de carrière, il sait installer une atmosphère. Et c’est le moins qu’on puisse dire : tout est calme, complètement suspendu. Car ce 7 octobre, c’est l’intime qu’il met à l’honneur, sur une toile de fond poétique mais avec une dose continue d’humour (juste ce qu’il faut pour ne jamais au grand jamais verser dans la sentimentalité). Pas d’artifice, les mélodies sont d’une profonde authenticité et en plus les souvenirs d’enfance s’accompagnent d’esquisses de l’artiste pop de la chanson française, qui renoue ici avec une autre de ses passions : le dessin.
Vernis noir au bout des doigts, il trace de la main gauche un « hello Bruxelles » entouré d’un cœur, qui s’affiche sur grand écran. Penché sur un minuscule piano, il ouvre le concert avec toute la douceur qui imprègne « Je te manque » (Je vais changer, 2005) et ses paroles imagées : « les bains de boue d’algues et de bulles à Pompadour mon étoile brille dans les remous mon corps ondule. »
Sans jamais cesser de parler à la salle, il chipote sur des instruments étranges, enchaîne avec « Les Cent Prochaines Années » (chanson-titre de l’album sorti en 2023), s’interrompt pour tousser, ironise : « fin du concert ! », et reprend sous les rires d’un public qui n’est plus à séduire. Une enveloppe dessinée annonce ensuite « J’aime lire » (Bungalow !, 2008), titre grâce auquel on l’a découvert et dont le texte, méticuleusement musical, justifiera plusieurs écoutes compulsives : « J’aime lire Mais non Je ne l’ouvrirai pas Je la laisserai là Cachetée silencieuse Je ne risquerai pas. » Exit les intonations reggae de l’originale, la version live est plus électro, à l’instar de celle de son dernier album.
Avec « Moi moi » (Un homme, 2013), il fait (encore) rire le public en prétendant avoir trouvé la solution à un « problème bien pénible, celui des gens qui ne parlent que d’eux » – qu’on vous laisse le soin de décoder vous-même en pressant sur play. Il enchaîne avec « Tu vas rire », que le public prendra au mot, et fait siffler la salle, qui continuera joyeusement sans même y être invitée (« vous êtes les premiers à oser », dit-il). Sur « À jamais » (Les cent prochaines années, 2023), il plaisante : « J’ai remarqué que je savais dessiner par transmission de pensées les soirs d’orage. » Un tonnerre gronde pendant qu’une forêt se dessine sur l’écran et un fond assumé de nostalgie.

L’écran s’illumine de rouge ensuite pour « Le Grand Amour » (L’un de nous, 2017), un de ses titres phares qui se prête inéluctablement bien à l’ambiance feutrée d’un Albin seul au piano. Vient ensuite « Mes épaules », qui ouvrira la voie à une nouvelle esquisse de sa maison d’enfance de Montigny-sur-l’Hallue, théâtre de bien des histoires et rêveries avec sa sœur de « trois ans et demi de plus ». Il évoque les animaux, les jonquilles, l’épisode du pistolet à plomb (qu’il raconte plus en détail dans son livre à dessins, « Mes battements »), son amitié avec Alain Souchon, son tourne-disque, et bien-sûr, plus tard, les filles.
Plus le concert avance, plus il révèle ses petits secrets. Il revient sur le décalage que son nom à particule crée alors qu’il vit sans le sou, raconte un père champion de la débrouille, qui pilote des avions pour un archéologue photographe et qui rafistole des voitures de luxe qu’il mettra en vente devant sa maison (ce qui ne calmera pas la jalousie de ses camarades). Le tout est raconté sans pathos, ni sérieux. Viennent ensuite les amours imaginaires logées, dit-il, dans un « immense ciel au sommet de son crâne, où tout le monde peut chanter » sur « Toi là-bas ».
Ce dialogue continu entre les dessins, les mélodies et les mots a cela de précieux qu’il dévoile de manière assez inédite une autre facette de l’artiste, plus vulnérable, plus accessible. Sans jamais que le temps ne paraisse long. On se trouve projeté dans une enfance rocambolesque et captivante, qu’on a envie d’écouter jusqu’à la dernière seconde.
Notre coup de cœur : « Pourquoi on pleure », avec Alice on the Roof qui le rejoint sur scène pour cette « chanson de couple » écrite il y a 8 ans mais qu’il a proposé à Alice d’interpréter (alors que, elle insiste bien là-dessus, il s’agit ici d’un « faux couple »). Ils entament à trois mains une belle déclaration d’amour à une inconnue qui déborde de complicité, et sur laquelle leurs voix s’épousent (sorry not sorry) à merveille. Il poursuivra avec une interprétation en mode mineur de « Ma Gueule » de Johnny Hallyday (où s’invitent quelques notes de clavecin) qu’on a aussi adorée. Puis Alice reviendra danser sur « Dans la tête », dans un jeu d’ombres chinoises.

Avant de quitter la scène, Albin de la Simone confie que l’essence de son concert et de sa tournée, c’est l’idée d’observer le passé dans le rétroviseur pour continuer à avancer en envisageant mieux l’avenir. Ou autrement dit, rester fidèle à son mantra et toujours « faire mieux qu’hier et moins bien que demain ».
Le concert s’achève, sans surprise, sur une standing ovation.
On retiendra une performance à la fois introspective (sans jamais devenir nombriliste) et imprégnée d’une douce mélancolie, qui restera sans doute l’une des plus marquantes de cette édition. Et comment ne pas saluer une fois encore la beauté des rencontres crées par FrancoFaune – qui associe deux voix pures, deux sensibilités si intenses et des pensées qui valent la peine d’être diffusées partout (ou ébauchées dans le noir – de la main gauche).