critique &
création culturelle

Mickey 17 de Bong Joon-ho

Humour parasite

Avec Marx et contre Musk, l’immense Bong Joon-ho a toujours autant de réalités à dénoncer. En contraste avec le reste de sa célèbre filmographie (Snowpiercer, Okja, Parasite), sa dernière création n’exprime pas seulement un message politique. Mickey 17 veut être drôle, ou du moins essaye.

Après quatre ans de vol, un vaisseau se pose sur une planète enneigée. À son bord, le commandant Kenneth Marshall (Mark Ruffalo), une sorte de Donald Trump de l’espace, veut y installer une colonie extraterrestre. La population du vaisseau est caractérisée par une forte stratification sociale, thématique récurrente du cinéma de Bong Joon-ho. Tout en bas de l’échelle, Mickey Barnes (Robert Pattinson) exerce le métier de « remplaçable » : un ouvrier à qui l’on confie les missions les plus dangereuses, étant donné que son corps et sa mémoire peuvent être « réimprimés » à chaque fois qu’il meurt. Tout bascule lorsque Mickey 17 tombe nez-à-nez avec le clone suivant, Mickey 18.

L’idée dystopique d’un ouvrier jetable, réduit à un numéro, dénonce un aspect original de l’exploitation capitaliste. « Un changement continuel du personnel n’amènerait aucune interruption dans le procès de travail » décrit Marx dans Le Capital. À son époque, le machinisme et la division parcellaire du travail industriel transforment peu à peu l’ouvrier·ère en un rouage remplaçable, assigné à un nombre de plus en plus limité de tâches répétitives « dont le premier venu est capable ». Mickey 17 incarne le moyen de production parfait de l’entreprise capitaliste : une paire de bras sans aucune qualification et qui ne se plaint jamais de ses conditions, sachant bien que sa survie n’a aucune valeur. Le film rappelle le peu d’importance que représente la vie des travailleur·euses opprimé·es dans des usines dont nous consommons les produits ou sur des chantiers lointains, comme celui de la Coupe du monde au Qatar où les décès ont été comptés par milliers (Le Monde). Rien de plus efficace que la science-fiction pour montrer que le progrès technologique ne corrige pas les inégalités, mais empire bien souvent cette condition de « sous-humain·e ».

Si cette représentation de l’exploitation a le mérite d’être inédite, le regard de Mickey 17 sur le fascisme est bien trop prévisible. Le long-métrage, tourné en 2022, semble essayer de revisiter le film Le Dictateur, dans lequel Charlie Chaplin moque la dictature hitlérienne. La satire se limite malheureusement aux mimiques déjà caricaturées mille fois d’un Trump clownesque et idiot. On aurait préféré aux grimaces une personnification plus fine de la montée de l’extrême-droite. Par exemple, le scénario aurait pu insister sur la capacité manipulatrice des discours inégalitaires. Ce qui aurait expliqué pourquoi tous·tes les « gentil·les » de l’histoire sont, comme par magie, hermétiques à l’admiration générale pour Marshall ; comme si l’emprise à ce type de discours dépendait uniquement d’un niveau inné d’héroïsme. Les idées fascistes s’immiscent aujourd’hui dans nos assemblées, nos médias, notre vocabulaire. Leur propagation globale ne peut plus être présentée comme une simple opposition entre les bons et les méchants, entre la Résistance et l’Empire.

Si vous avez saisi cette référence à Star Wars, plusieurs décors de Mickey 17 vous rappelleront des éléments graphiques de la saga maîtresse de la science-fiction. On apprécie et on croit aux paysages glacés, peuplés d’extraterrestres plutôt atypiques, et à la technologie futuriste du vaisseau qu’on imagine tout droit sortie du cerveau d’Elon Musk. Néanmoins, on retrouve aussi certains codes excessifs des films de Georges Lucas… À l’exception d’un humour noir efficace qui s’articule parfaitement à la mort récurrente du personnage principal, on ne peut pas dire qu’on se marre devant les dizaines de blagues potaches qui finissent par ridiculiser, voire faire oublier, le sujet central du long-métrage développé précédemment. La présence de petites bébêtes mignonnes, servant surtout de ficelles scénaristiques, constitue un autre élément sans doute inspiré de la science-fiction façon Disney.

La prestation de Robert Pattinson en animal de laboratoire est le vrai pari réussi de Mickey 17. Habitué aux rôles de bad boy mystérieux, l’acteur de Twilight et The Batman nous surprend avec ce rôle de gentil bonhomme simplet et attachant. Le défi de le faire apparaître cloné à l’écran est rendu possible par l’expressivité insoupçonnée de son visage, car les deux versions du personnage principal n’ont pas la même posture ni le même tempérament. Il faut toutefois reconnaître que le scénario ne fait pas grand chose d'intéressant de ce double personnage, si ce n’est le passage osé de la rencontre entre la compagne de Mickey (Naomi Ackie) et les doubles. Bong Joon-ho semble hésiter à qualifier cette étrange relation de science-fiction entre deux hommes identiques, qui passent trop facilement d’ennemis à camarades. En guise de contre-exemple, le film The Double de Richard Ayoade pose un regard fascinant sur la jalousie amoureuse et professionnelle en construisant son récit tout entier autour d’une relation similaire entre deux Jesse Eisenberg. Son atmosphère sombre et pesante convient peut-être mieux à cet étrange concept, Ayoade adaptant une nouvelle de Dostoïevski.

Armé d’un concept brillant et d’une volonté politique toujours aussi grande, le « commandant » Bong Joon-ho, voulant faire de chaque scène une comédie, perd le contrôle de Mickey 17 en plein vol. À l'atterrissage, ce bon divertissement apparaît avant tout comme une réflexion sociale sous-exploitée, comparé à la profondeur de ses autres œuvres. Faut-il accuser le format « blockbuster » de cette première collaboration du réalisateur sud-coréen avec Warner Bros, ou bien respecter son envie de s’essayer à un autre genre cinématographique ?

Même rédacteur·ice :

Mickey 17

Réalisé par Bong Joon-ho
À partir du roman Mickey7 d’Edward Ashton
Avec Robert Pattinson, Mark Ruffalo, Naomi Ackie, Steven Yeun
États-Unis, Corée du Sud, 2025
137 minutes

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