critique &
création culturelle

Ouverture des hostilités 

Imaginarium anti-système

photo : Alice Piemme/AML

Dans Ouverture des hostilités, Marie Devroux propose trois fictions utopistes pour aider les spectateurs à « muscler leur imaginaire ». L’idée : proposer des alternatives au capitalisme en offrant des vues concrètes sur ce qui pourrait être.

Comment réimaginer l’économie, la politique ou la justice dans un monde appartenant d’abord à ses citoyens ? Quelle autre alternative que le communisme avons-nous face à notre système économique mortifère ? La colère de la metteuse en scène, Marie Devroux, contre le capitalisme se transforme en une envie de questionner et révolutionner le monde. Une colère ambitieuse, donc.

Lors de l’entrée dans la salle, les spectateurs découvrent un décor aseptisé et minimaliste, évoquant une salle de classe. Le spectacle commence alors par un premier acte qui m’a fait froid dans le dos. Des parodies de PowerPoint s’enchaînent tandis que Marie Devroux, la comédienne principale, nous fournit le lexique du futur spectacle. « Ça va être comme ça tout le spectacle ? », me dis-je. « Aussi plat et didactique ? J’ai dû me tromper de bâtiment. Je venais au théâtre ce soir, pas à l’école. »

Heureusement, deux minutes après ma réflexion, tout change. Le décor repousse les murs, la musique résonne, des comédiens commencent à s’approprier l’espace scénique, le rythme s’accélère et le spectacle se lance. Malgré ses thématiques étouffantes et sérieuses, Ouverture des hostilités se veut d’une naïve légèreté. L’humour gagne une grande place dans le texte. Il doit. Sans lui, les 1h20 auraient été d’une rude aridité.

photo : Alice Piemme/AML

Cela dit, le tout garde un aspect ouvertement pédagogique. Les utopies mises en scène s’achèvent à chaque fois sur une leçon de 3 minutes pour expliquer ce qui vient de se passer au spectateur. Les explications des comédiens, couplées aux animations du décor, rendent accessibles des notions de sciences sociales et d’économie. Ouverture des hostilités s’adapte à tous les publics et j’ai été heureux de voir beaucoup d’adolescents dans la salle.

Car oui, sous ses faux airs candides (l’objectif demeure de détruire le système capitaliste), le spectacle se veut très documenté. À l’entrée de la salle, le public reçoit la liste des références et des ouvrages qui ont inspiré les comédiens lors de l’écriture du texte. Cette dimension théorique se ressent fort. Elle aurait pu être encore mieux mise en avant à mon goût. Plus de faits et d’exemples concrets auraient pu écarter davantage la dimension utopiste de ces fictions.

Soif d’utopies

L’une d’elles était, par exemple, l’introduction d’un nouveau collaborateur dans une coopérative autogérée. L’acte commence par une scène de théâtre tout à fait classique, à la différence près qu’elle met en avant des aspects très concrets de cette réalité. Le comédien pose alors des questions relatives à son nouvel emploi : « Combien serai-je payé ? », « Quelles seront mes tâches ? », « Qu’arrivera-t-il si je tombe malade ? ». Par la narration, on assiste à un exposé tangible et limpide d’un monde possible. À la fin de chaque acte, la scène se transforme en TED Talk décomplexé où l’un des personnages explique, à l’aide de schémas, pourquoi et comment la simulation à laquelle le public vient d’assister est réalisable.

photo : Alice Piemme/AML

Le quatrième mur est sans cesse démoli par chacun des comédiens en donnant plus de contexte et d’explications complémentaires à ce qui est en train de se jouer sur scène. Malgré le style didactique du jeu des comédiens, ils réussissent à construire un lien captivant avec le public, qui se sent impliqué dans les différentes histoires qui défilent devant lui.

Il y a cependant une bizarrerie, peut-être innocente, mais qui m’a travaillé. Bien que l’actrice principale clame à maintes reprises qu’elle « déteste les spectacles où le public participe », les spectateurs ont plusieurs fois l’occasion de monter sur scène pour servir uniquement… de décor. Les spectateurs qui monteront sur scène n’auront pour seul rôle que de jouer l’équivalent du buisson en carton-plâtre en bordure de scène. Pour un spectacle qui parle d’une société dirigée directement par le peuple, cela m’a fait sourire.

En réalité, j’ai trouvé qu’Ouverture des hostilités tenait sa promesse. Il nous offre effectivement à voir des réalités possibles, des options désormais définissables et caractérisables. Certes, il porte des visions utopiques, mais c’est exactement de ça dont nous avons désormais besoin : de nouveaux objectifs à atteindre. Finalement, il offre une belle réponse au « There is no alternative » ambiant.

Ouverture des hostilités

Mis en scène par Marie Devroux

Avec Aminata Abdoulaye Hama, Laila Chaarani, Ferdinand Despy, Marie Devroux et Sasha Martelli

Du 12 novembre au 22 novembre au théâtre du Rideau de Bruxelles

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