Ouvrir les parenthèses
Rencontre avec Alexis Courtin , mister Parenthèses Records, à l’occasion de la sortie de l’album Re : Residual . Un album à la croisée des genres et des mondes, parce qu’il existe autre chose par-delà la world music .
Alexis Courtin n’est pas un inconnu pour les lecteurs de Karoo, et il devrait devenir un pilier de notre section musicale. Mais on ne se laisserait pas aller à un simple copinage pour autant, s’il n’était pas d’abord l’homme derrière un label, Parenthèses Records , qui force autant notre curiosité que notre admiration. On profite alors de l’excellent prétexte que constitue la sortie de l’album de remixes Re : Residual pour l’interroger sur la naissance de ce projet, mais aussi plus largement sur l’aventure de l’édition musicale.
Re : Residual
, c’est exactement le genre d’album qu’on adore : inclassable, on est transporté vers un ailleurs musical, en pleine
terra incognita
. Comment est né ce projet ?
J’ai passé sept ans à Perth en Australie où j’ai, entre autres, exercé la fonction de programmateur d’un centre culturel dont la mission première était la promotion des arts multiculturels. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré le compositeur
Peter Knight, basé à Melbourne
. J’avais programmé son sextet Way Out West qui, bien qu’officiant dans un registre jazz assez classique, présentait l’originalité de mettre en avant les sonorités traditionnelles vietnamiennes de par la présence du
multi-instrumentiste Dung Nguyen
.
Peu de temps après notre rencontre, Peter m’a recontacté pour me faire part de son projet de duo avec Dung et de son désir de le sortir sur Parenthèses. Il s’agissait pour lui de pousser plus loin leur rencontre et d’emmener ces mêmes sonorités vietnamiennes dans un contexte plus expérimental, où les sonorités électroniques prendraient une place plus importante. Peter est trompettiste de jazz de formation et je pense qu’il était à l’époque désireux d’approfondir les possibilités sonores de son instrument, ainsi que de s’engager d’avantage dans la voie de la composition et de l’improvisation électronique. C’est ainsi que l’album Residual est né en 2010.
Écoutez Residual , l’album originel
L’album a très rapidement reçu une bonne presse internationale et Dung et Peter l’ont même présenté en live dans deux festivals internationaux, ainsi qu’à Bruxelles. Le départ inopiné de Dung a malheureusement coupé court nos intentions de tournées et d’un album à suivre. C’était frustrant car je suis littéralement amoureux de cet album et je suis convaincu de son caractère unique dans le paysage des musiques électroniques.
RE : Residual , soit l’idée d’un album de remixes, répond donc clairement à ma frustration et à mon désir d’ offrir à Residual une seconde vie . C’était aussi l’occasion de faire appel à des artistes dont je suis attentivement le travail et par conséquent d’accroître la famille Parenthèses.
Re: Residual en streaming et donwload gratuit
Cet album se situe donc à un véritable carrefour des cultures : à l’image de Parenthèses Records ?
C’est vrai ! La ligne artistique de Parenthèses est de sortir des projets musicaux où s’opère une rencontre entre musiciens issus de cultures différentes. Les albums peuvent ensuite tout aussi bien se situer dans des sphères musicales traditionnelles que plus contemporaines. L’important, c’est le dialogue et ce qui en résulte. Des artistes tels que Don Cherry, Hector Zazou, Charles Lloyd, Anouar Brahem ou Tony Scott et des labels tels que ECM ou Crammed Discs ont tous exploré à leur manière la transversalité culturelle en musique et sont de vraies inspirations. Rien de neuf dans la démarche du label, donc, mais mon souhait est d’inscrire Parenthèses dans cette lignée et de rester le plus honnête possible afin d’éviter de tomber dans cette soupe qu’est la fusion world .
Du coup RE : Residual fait un peu office d’ exception dans la discographie actuelle du label. Même si l’on y retrouve en effet des artistes australiens et français, le remixe induit davantage une relecture plutôt qu’un réel dialogue. J’avais aussi une idée précise de la direction musicale, du type de remixes que je désirais pour l’album et j’ai donc invité des artistes qui y répondraient.
C’est compliqué de lancer une « maison d’édition musicale » aujourd’hui ?
Le démarrage est simple car lancer un label est avant tout une histoire de passion. C’est le faire vivre qui n’est pas aisé.
Il n’y a jamais eu autant de musiques disponibles
, et des labels et des artistes auto-produits apparaissent tous les jours, utilisant chacun les pouvoirs du web pour se faire connaître. C’est très excitant, mais cela implique aussi qu’il y a une saturation pour le consommateur.
Publier des disques nécessite aussi une certaine maîtrise des rouages de l’industrie du disque, tant légaux que ceux permettant de faire fructifier un album ou un artiste au-delà de la simple vente de disques. Je pense particulièrement aux opportunités de licensing et publishing qui sont devenues de véritables sources de revenus additionnels, et ce même pour les indépendants. Ce n’est pas simple, mais c’est très excitant et j’apprends tous les jours. Être seul aux commandes limite aussi mes actions.
Mais j’affectionne tout particulièrement la découverte d’un artiste et les nombreuses phases qui permettent d’aboutir au produit final. C’est ce processus créatif partagé qui me fait continuer. À l’heure actuelle, les artistes ont assez d’outils en mains pour s’auto-produire. Je pense que ce qui les décidera à signer avec un label aussi petit que le mien, c’est justement cette recherche de partage et d’investissement total. Le contrat entre nous est donc très clair dès le début et c’est ce qui prime.
Parenthèses Records fonctionne gratuitement et à partir de dons : le web, c’est une chance ou un cul-de-sac ?
RE : Residual
est en fait le premier album entièrement gratuit. À l’heure actuelle du téléchargement et des réseaux sociaux,
il est essentiel d’interagir avec ses « fans » et la gratuité est un excellent moyen pour y parvenir.
C’est aussi un atout pour se faire connaître auprès d’un public avec lequel tu n’aurais jamais eu d’interactions auparavant.
Bandcamp est une plateforme idéale en ce sens qu’elle te permet de garder ton indépendance financière, te donne les outils pour mener une campagne effective de promotion d’un album et crée un réel espace de proximité entre l’artiste ou le label et ses fans. Re : Residual est gratuit mais offre aussi la possibilité à ceux qui le désirent d’offrir un don. Tu serais étonné du nombre de gens qui le font spontanément. Tu leur donnes un pouvoir décisionnel en quelque sorte, là où des plateformes plus classiques comme iTunes ne le font pas.
Il m’est difficile de m’exprimer sur l’influence du web sur l’industrie de la musique tant le domaine est vaste et induit des notions complexes d’économie. Cela fait plus de dix ans que les Majors nous tiennent le discours de la chasse aux sorcières, mais l’hérésie ne se situerait-elle pas plutôt dans le nivellement vers le bas de l’offre musicale dont elles sont justement responsables ?
Déjà d’autres projets en route ?
Oui, début 2015 sortira le premier album de KEDA, soit le duo qui unit Mathias Delplanque à E’Joung-Ju , Coréenne basée à Nantes et maître du gomungo (sorte d’équivalent coréen du koto japonnais). Ce sera sous format vinyle, ce qui est une première pour Parenthèses mais j’y crois de plus en plus. Mathias est un musicien électronique qui officie dans les musiques expérimentales et dub, tandis que E’Joung Ju est garante d’une tradition millénaire qui se perd. Leur duo confronte ces sonorités ancestrales à des textures, des rythmes et des traitements électroniques. Conceptuellement très proche de Residual , l’album de KEDA en sera pourtant sonoriquement très éloigné. Une fois de plus, c’est le dialogue qui prime.
KEDA, la sortie a venir – extraits live
Et bien sûr…
http://www.parenthesesrecords.be/
En exclusivité pour Karoo , voici le clip de Re: Autumn