Paradoxal P.R.O.T.O.C.O.L. de Stéphane Vanderhaeghe
P.R.O.T.O.C.O.L. est le troisième livre de Stéphane Vanderhaeghe , publié début 2022 aux éditions Quidam . Le roman dresse le portrait critique d’une société qui présente de nombreuses similitudes, peu flatteuses, avec la nôtre. De quoi rougir et se remettre en question.
P.R.O.T.O.C.O.L. est un livre très long (plus de 500 pages) et très déstabilisant. Le titre même du roman laisse présumer un récit ordonné et structuré mais il n’est rien. Dès les premières pages, on se rend compte que la lecture s’annonce périlleuse.
La structure du livre est loin d’être protocolaire, linéaire. Elle se divise en trois temps – facilement déterminables grâce à la division du roman en chapitres. On retrouve ainsi : le suivi de la trajectoire d’un présumé terroriste grâce aux images des caméras de surveillance qui se trouvent un peu partout dans la ville ; des passages rétrospectifs composés de retranscriptions et d’extraits en italique où une voix collective semble s’exprimer ; et enfin, la vie des différents personnages qui évoluent tout au long du roman.
Cette mosaïque de personnages est d’emblée éloquente : le lecteur découvre qu’ils sont tous aux prises avec leur vie qui les dépasse. Le monde est comme il est, chaotique, et ils doivent composer avec lui.
Par exemple, Katya est une travailleuse du sexe qui entrevoit son activité comme une véritable entreprise lucrative. Elle fricote avec des hommes en tous genres dont J-C, data analyst dans une grosse boite, qui couche aussi avec sa collègue dans les toilettes du bureau.
Mél et RE:AL vivent au ban de la société : la première est SDF et cherche à survivre comme elle peut, errant dans les rues de la ville. Le second est un artiste-né qui passe son temps à élaborer de nouvelles œuvres éphémères qu’il tague sur les murs de la cité, très rapidement effacées par les autorités. Un immigré essaye d’avoir des papiers pour rester séjourner dans la ville, il trouve un job de livreur. Raton, lui, n’a rien d’humain. C’est un rat qui tue pour survivre et vit dans l’insalubrité.
Tous ces personnages ne parviennent pas à se faire entendre, et pour cause : personne ne semble s’intéresser au bonheur ou au malheur de l’autre. La société est égoïste et capitaliste. Chacun a besoin d’argent, tous travaillent pour (sur-)vivre. Mél mendie, Katya se prostitue. L’une est regardée avec dégoût et dédain par les passants et l’autre n’est vue que comme un objet sexuel par ses clients.
Une critique du capitalisme ?
La thématique du capitalisme est récurrente dans le roman. On y mentionne d’ailleurs à plusieurs reprises l’économiste Karl Marx. C’est d’ailleurs lui qui figure sur la couverture du livre. Il semble pointer le doigt vers nous, comme si on était responsable du monde dans lequel nous vivons et du monde dans lequel les personnages vivent. La ressemblance est facile mais subtile. Le militantisme du roman ne se clame pas haut et fort, à l’inverse, il est subtil, dosé avec parcimonie par l’auteur.
Le je-m’en-foutisme généralisé des protagonistes, par ailleurs, laisse croire que le monde de la consommation dans lequel ils avancent en silence – et duquel ils dépendent – estompe toute véritable prise de position engagée. Du moins, c’est ce que j’ai ressenti en lisant le roman.
LibRT d’Xpression mon Q
Ce qui m’a bien entendu fait penser à notre société et son paradoxe : tout le monde se fait expert politique et scande son avis, en vain, sans véritable connaissance approfondie d’une idéologie ou d’un paradigme social. Au fond, les personnages de P.R.O.T.O.C.O.L. et leur caractère désintéressé sont étrangement semblables à notre monde. De quoi rougir voire se remettre en question.
Pauvreté, capitalisme, tromperie, marginalité, deuil, voilà les maitres-mots qui dictent le quotidien des personnages. Ils évoluent dans une société où le politique reste présent, en filigrane, le logo P.R.O.T.O.C.O.L. placardé partout dans la ville, mais les personnages n’y prêtent pas attention. Ils ont autre chose à penser.
L’espoir en l’être humain est-il aux antipodes de ce roman? Oui et non. Mon ressenti général reste ambivalent. D’une part, le roman dresse explicitement le portrait d’une monde absurde parcouru par des parias. Mais d’autre part, en dédiant son ouvrage certes aux rats mais aussi aux autres, l’auteur ne semble pas avoir perdu toute foi en l’Homme.
Ça paraît loin tout ça maintenant. Dur à dire quand tout a commencé tant nous sommes bercés [...] par le rythme mécanique de vies sans histoires, ces vies que nous déroulions dans nos cadres usuels, inébranlables et protecteurs, pensions-nous - non, nous ne pensions pas la plupart du temps, nos gestes endormis-répétés-sûrs-irréfléchis : les vieux qui partaient bosser pour ceux qui rentraient embrasser les gosses et les gaver de nourriture décongelée devant le programme TV en-deux-parties-coincées-entre-les-pubs pour mieux s’abrutir [...]
Un sentiment d’oppression
Le premier temps du roman, celui où on peut suivre la trajectoire assassine d’un terroriste au travers d’images de vidéo-surveillance, est oppressant. Les minutes ponctuent les titres du chapitre et plus on avance dans le temps, plus le lecteur sait que l’heure fatidique approche. Le drame est inévitable. On ne fait qu’épier ce personnage dont on connait déjà l’atrocité des actes. On ne fait qu’essayer de le comprendre, de déceler une certaine démence ou une radicalité… Peut-être est-ce peine perdue.
Il n’existe plus déjà lorsque la porte de l’immeuble claque derrière lui. Il ne reviendra pas en arrière, on ne l’arrêtera plus. Sa décision, si c’en est une, si ce n’est pas autre chose, est irrévocable, mûrie de longue date - pensée, anticipé, répétée. [...] Cet homme n’a pas de nom et donc pas d’histoire, nul contexte dans l’immédiat susceptible de l’humaniser un peu, de prêter à son geste la moindre consistance.
La dernière temporalité – appelée « épilepse » dans le roman –, qui correspond à ce que j’ai appelé la deuxième partie de P.R.O.T.O.C.O.L. composée de passages retranscrits et d’un discours assez nébuleux, vient s’accoler aux vécus des différents protagonistes du roman, de manière bien distincte, grâce à la délimitation du livre. Cette partie sème le doute et demeure un véritable mystère pour ma part. Peut-être étais-je trop fatiguée dans ma lecture mais je ne parviens pas à résumer ce que contient cette partie.
Que s’est-il passé ? Dans quel monde la voix s’exprime-t-elle ? Pourquoi ce qui se cache derrière l’acronyme P.R.O.T.O.C.O.L. n’est-il pas intervenu ? Mais se cache-t-il vraiment quelque chose ? Une entité ? Une autorité ? On ne le sait pas. Le discours est empreint d’une tristesse nostalgique. Cette partie s’est avérée pour moi imprégnée d’incertitudes.
J’espère sincèrement qu’ils ne vous malmèneront pas trop et vous laisseront l’occasion de réfléchir un peu à tout ça et de vous poser la question posez-vous la question oui qu’avez-vous encore à perdre à ce stade hein? Je [inaudible] quel gâchis [inaudible - bruits de pas, une porte, plusieurs voix indiscernables parmi lesquelles seules quelques bribes se laissent saisir]
P.R.O.T.O.C.O.L. est aussi un roman qui joue sur la graphie, entre le gras, l’italique, l’usage excessif et erroné de la ponctuation, elle-même mise en gras... il marque les esprits. La typographie spécifique permet d’insister sur certains mots, de dénoncer cette société acculée où tout le monde ou presque s’accorde à dire qu’elle va droit dans le mur. Mais personne ne semble préoccupé par cela.