Parfum de Pascal Sgro
Mémoire sensible
Dé/nicher #2
Lorsqu’on pense à l’habitat, s’opère le réflexe de s’imaginer l’habitant : c’est par cet angle que Pascal Sgro, jeune photographe bruxellois, nous partage l’expérience d’un retour sur son enfance. Un travail tendre, spontané, mais aussi surprenant et introspectif.
Pour illustrer cette sélection de l’habitat et de son habitant, Pascal Sgro propose une approche aussi bien touchante qu’originale. Ses sujets, les lieux qu’il capture, servent une nostalgie et une tendresse intrigantes qui ne demandent qu’à être explorées. Jeune photographe bruxellois de 25 ans, il propose son premier projet personnel intitulé Parfum, celui qui le ramène à son enfance et à ses origines.
Tout petit déjà, Pascal apprend à capturer l’image pour les spectacles qu’il joue devant sa famille. La photographie devient alors vite un loisir, mais c’est surtout lors du choix de ses études que l’art de capturer l’image devient pour lui un tremplin. À force d’essais et de développements, Pascal Sgro découvre la manière dont il aime mettre en valeur ses sujets.
Ces photos prises au flash, avec un léger angle de plongée, donnent un effet de « coup d’œil curieux » presque comique, qui donne tout son charme à cette sélection. Cette approche crée une proximité avec le sujet, qui nous permet d’entrer réellement dans son univers, de nous sentir proche, voire de nous identifier à celui qui tient l’appareil. C’est bien la force de cette technique : elle ouvre au spectateur une possibilité de retrouver, par ce cadrage particulier, des situations ou des gestes, des souvenirs enfouis qui viennent raviver les nôtres.
Lors de notre rencontre en terrasse d’un café du centre de Bruxelles, j’ai eu l’occasion de découvrir un bout de son histoire et de sa perception de la photographie. Pascal Sgro m’explique entre autres comment lui est venue l’idée de lancer Parfum.
« Ce projet est né en bac 3, à un moment où les thèmes ne nous étaient plus imposés. Je ne savais pas vraiment quoi faire, et c’est en développant moi-même des photos prises un peu au hasard que cette esthétique est apparue. Ensuite, je fais ma sélection à l’instinct. »
À l’instinct. Cela résume parfaitement la démarche de création du photographe. Plus qu’un joyeux tâtonnement, c’est un positionnement qui fonctionne. Pascal Sgro peut d’ailleurs se vanter de s’être vu décerner le prestigieux prix Roger De Conynck, qui offre une aide financière pour soutenir les jeunes photographes dans leurs projets artistiques. En regardant attentivement les sujets de Parfum, on s’aperçoit qu’ils contribuent à une contemplation de la simplicité, et malgré les lieux et les gens inconnus, de près ou de loin, rien ne nous est jamais complètement étranger. Cette immersion parmi des mains et des visages inédits nous devient, au fur et à mesure des clichés, étrangement familière.
« Parfum évoque les arômes des plats préparés par les membres de ma famille, suscitant ainsi la nostalgie des moments passés en leur compagnie. Ce terme englobe à la fois l’aspect olfactif et gustatif, ce qui en fait une métaphore riche pour représenter la réminiscence de moments familiaux doux et apaisants, rappelant la célèbre madeleine de Proust. »
Ici, Pascal Sgro revisite des lieux chargés de souvenirs, et il entame malgré lui un travail de remémoration qui touche aux origines. Il offre ainsi un bel hommage à l’innocence de l’enfance.
« Je travaille souvent par lieux, ceux de mes souvenirs, que je retourne explorer. Par exemple dans Parfum, c’est chez mon père, c’est chez mes grands-parents... J’y vais rarement mais je n’oublie jamais de prendre mon appareil. »
À travers les aléas des réunions de familles, des repas et des jeux, la série illustre avec une nostalgie vibrante l’alchimie colorée des origines italiennes de sa famille, aussi bien que l’ambiance de son pays d’adoption, la Belgique. On se trouve alors confronté à une compilation de souvenirs qui s’échappent des clichés.
Ce qui marque surtout, c’est le contraste des lumières froides sur des situations que l’on associerait plus à des couleurs chaudes, tant les sujets paraissent toujours si « bon enfant ». L’astuce, c’est le paradoxe entre des scènes calmes et réconfortantes qui se retrouvent froidement immortalisées sur un bout de papier glacé. Ce paradoxe confère une tonalité intemporelle, amplifiée par l’esthétique des photos qui rappelle, comme le dit lui-même Pascal Sgro, celle des années 80-90, y ajoutant également ce magnétisme populaire.
Le photographe confie que ses séries sont toujours des projets ouverts, continus, qu’il alimente au fur et à mesure des occasions. Cela rend le projet d’autant plus vivant et contribue à une construction d’un « révolu » permanent, ou rien n’est oublié, laissé de côté, mais bien plutôt redécouvert et bonifié par le temps passé.
En somme, pour Pascal Sgro, c’est la vie qui traverse un lieu qui lui donne sa sensibilité. Les draps, les jouets ou les peluches démodées voient redorer leurs blasons par le prisme du souvenir heureux. Un souvenir qui s’accroche à ces objets oubliés: ils illustrent alors la redécouverte de l’enfance sans qu’aucune mise en scène ne soit nécessaire.
Outre Parfum, d’autres projets sont déjà publiés sur le site internet de Pascal Sgro, notamment la série Jardin du Lunch (traduction littérale de Lunch Garden)1. Dans la continuité de Parfum, le jeune photographe revient au restaurant où il se rendait plus jeune avec son père, et qui a fait naître tant de souvenirs, aussi cocasses qu’ils étaient ordinaires. Il s’y rend dorénavant régulièrement pour capturer le quoti- dien discret des habitués de cette chaîne de restaurant bon marché. Une démarche qui s’accompagne d’une forme d’engagement : la série rend hommage à ces clients isolés, pour qui aller manger au Lunch Garden permet de participer, certes passivement, à un certain groupe social. Un rendez-vous silencieux, une routine réconfortante.
Au moment de clore notre rencontre, je demande à Pascal Sgro quels seraient les conseils qu’il donnerait à un jeune photographe. Il me répond avec une spontanéité humble qui paraît bien le caractériser :
« Le plus important, c’est de trouver son style, de trouver l’appareil qu’on aime utiliser et aussi de ne pas avoir peur de montrer son travail, que ce soit à des photographes, à des professeurs ou à des gens qui n’y connaissent rien. »