Perdu Face à la mer
La contemplation d’un Beyrouth désert
Il est de ces films qui nous touchent mieux s’il y a une initiation au contexte. Face à la mer d’Ely Dagher en fait partie et parlera d’autant plus à ceux qui connaissent la situation historique et géopolitique du Liban, et plus particulièrement de Beyrouth.
Le personnage principal de Face à la mer est Beyrouth, mais il est vu au travers de Jana. Native de là-bas, elle revient pourtant de Paris où elle s’épanouissait au sein d’une école d’art, enchaînant en parallèle les petits boulots. La raison de son retour quelque peu soudain n’est pas expliquée et ne le sera jamais. Dans cette capitale du Liban fantomatique, Jana erre et va vers l’inconnu.
Bref, en 1h30 de film, il ne se passe rien au niveau de la narration. Les dialogues se font rares et les personnages dorment beaucoup, comme léthargiques. Jana fournit toujours des réponses évasives aux questions de ses proches concernant son retour, comme s’il s’agissait d’un passé non résolu sur lequel la protagoniste ne souhaite pas revenir. D’ailleurs, dans le dossier de presse , le réalisateur explique qu’il ne cherchait pas à créer une empathie avec son héroïne sur un supposé drame. Néanmoins, tout comme la famille et les amis de Jana qui s’interrogent, le spectateur cherche à savoir et finit avec une bien maigre récolte : il est question d’une crise, d’une guerre, de combats de rue dans Hamra, mais sans préciser quelle guerre exactement, sans donner l’année, et surtout sans savoir l’impact réel et clair sur les personnages. Tout doit se deviner par le ressenti et le récit ne cherche jamais à apporter de réponses. Le scénario serait donc là pour décrire l’état mental dans lequel sont les Libanais, c’est-à-dire à l’épreuve de l’histoire depuis plusieurs décennies.
Comme l’histoire doit passer au travers des sensations, il y a un gros travail sur la mise en scène. Face à la mer commence par une vue aérienne, très contemplative, afin de bénéficier d’un certain recul, d’un regard lointain sur la ville avant d’être plongé en son cœur avec ses intervenants. Nous quittons très vite ces grands espaces aériens pour nous retrouver ensuite enfermés. En effet, la notion d’enfermement au sein même du plan est très présente, avec des protagonistes souvent encadrés de fenêtres, de chambranles, de rambardes de balcon, de bords de télévision et d’habitacles de voiture. Même au dehors, les constructions anarchiques de grands ensembles obstruent la vue que les parents de Jana ont de leur appartement sur la mer. Cette architecture bouche l’horizon, la perspective d’avenir ainsi que, métaphoriquement, de liberté. Quand il n’y a pas d’encadrement, pas de décor dominant, les acteurs sont filmés soit au ralenti, dansant en toute insouciance, soit en gros plan comme s’ils ne respiraient pas, en courant sans but.
Pour son premier long-métrage, Ely Dagher prend le parti avec son directeur de la photographie, Shadi Chaaban, de filmer un Beyrouth désert. Quand Jana fait le tour du quartier avec son petit copain Adam, elle se rend compte qu’elle est devenue étrangère à sa propre ville. La capitale du Liban, connue pour être fourmillante d’activités en tout genre, se révèle être une ville fantôme à cause de la mauvaise gestion de ses dirigeants.
Ce sentiment d’aliénation est d’autant plus exacerbé grâce au traitement du son. Alors que des films tels que L’Insulte de Ziad Doueiri ou Capharnaüm de Nadine Labaki font part d’une ville autrefois bruyante, Ely Dagher veut rendre compte que « c’est une ville qui commence à vivre avec des moments de silence qui sont ceux d’une crise profonde »1 . Cette intention s’articule aussi dans la musique qui se fait très discrète sans pour autant créer un vide. Elle intervient juste là où il faut et quand il faut.
Avec une approche presque cathartique pour Ely Dagher, Face à la mer a pour objectif de transmettre par le ressenti ce que les Libanais sont en train de vivre. Malgré une mise en scène très intéressante et de beaux plans, l’absence de narration en tant que telle peine à satisfaire notre curiosité et à nous accrocher au message que le réalisateur veut faire ressentir au travers de Jana. En fin de compte, nous sommes peut-être des spectateurs trop indifférents à ce genre de film…