Ptyx, une librairie
La librairie Ptyx a ouvert ses portes près de Flagey en octobre 2012. Si elle attire d’abord le regard grâce à sa magnifique façade, elle offre surtout une vaste sélection en littérature, sciences humaines, jeunesse et BD. Invitation radicale au plaisir de lire, la sélection de livres proposée reflète bien la volonté d’oser assigner un rôle nouveau à la librairie. Rencontre avec Emmanuel Requette, l’homme derrière le ptyx.
Ouvrir une librairie aujourd’hui
C’est par envie, parce que j’y crois, parce qu’il y a de la place pour une librairie différente. Et puis je voulais changer de métier.
L’identité de Ptyx
Je suis farouchement indépendant ! Je suis un rat de librairie depuis que je suis enfant et depuis quelques années, j’entendais souvent utiliser le terme de « librairie indépendante ». Pourtant on y trouvait souvent les mêmes livres que chez Carrefour. L’indépendance ne se décrète pas, elle s’entretient en permanence. Par exemple en ne se laissant pas faire par les représentants et en faisant l’impasse sur pas mal de bouquins. Il faut donc résister à des pressions qui ne sont pas uniquement financières, mais qui relèvent aussi de ce qu’on veut te mettre sur la table. Il s’agit d’accepter de reconnaître que ce qui se fait de mieux passe le plus souvent inaperçu.
Parcours personnel
J’ai toujours lu énormément, passionnément. J’ai fait les romanes et j’ai entamé des études d’ingénieur commercial, puis j’ai travaillé dans la construction et le transport : j’ai fondé deux sociétés qui ont rencontré un succès qui ne me convenait pas tant que ça. J’ai alors voulu quitter ces grosses machines que j’avais créées pour retrouver une ambiance de travail qui me convienne mieux. La décision s’est prise il y quatre ans. Il a fallu m’organiser pour clore ce chapitre et entamer le suivant.
Le projet Ptyx
J’ai voulu d’abord couler dans le bronze ce que je voulais et son contraire : je ne voulais pas vendre du Marc Levy mais je me suis demandé si je n’en vendrais pas tout de même un peu. En choisissant de ne pas me plier à cette contrainte, c’est aussi la dimension du projet qui s’ajustait. Par ailleurs, je voulais aussi être propriétaire du lieu, parce que c’est aujourd’hui une condition presque sine qua non pour assurer la rentabilité d’un tel commerce. Cela impliquait dès lors de vivre au-dessus de la librairie, et donc un vrai changement de vie pour ma famille et moi qui habitions jusqu’ici la campagne. Ensuite, j’ai cherché un endroit en adéquation avec le projet, et Flagey s’est imposé. C’est un quartier cosmopolite, doté d’une certaine aisance financière, bénéficiant de l’impact du pôle culturel Flagey. J’ai décidé aussi de proposer de la BD et du livre jeunesse. La rencontre avec Ève Deluze est à ce titre très importante parce que ce ne sont pas là mes domaines de prédilection et qu’elle les maîtrise parfaitement. Et puis enfin, je suis tombé sur cette maison…
Le lieu Ptyx
J’ai une vision réaliste de la librairie, celle qu’on a connue est destinée à disparaître : comment concurrencer internet ou la Fnac ? Mais si on a un lieu qui est beau et attrayant, cela ajoute une autre dimension au passage en librairie. Alors autant annoncer la couleur, me suis-je dis. Je ne voulais ni d’une façade terne, ni d’un objet design. J’ai choisi plutôt ce qui me semblait aller de soi, de là l’idée des écrivains… J’ai ensuite choisi l’architecte en fonction de ce concept. Il me semble que ça attire le regard et puis ça se prolonge à l’intérieur, le tout offrant une vraie cohérence. Bien entendu, il a fallu investir pas mal d’argent sur l’ensemble du projet. Mais la librairie est rentable, et du moment que je peux en vivre…
Une profusion de titres de qualité
Il y a beaucoup de bons livres ! Au début, j’avais peur de ne pas avoir assez de place, mais un équilibre s’est installé du fait que je ne voulais pas me résigner à proposer des choses moins intéressantes. C’est le rôle du libraire de faire un tri, et donc de lire tout ce qui paraît ou presque. Les rentrées littéraires sont dingues mais ne peuvent pas constituer un obstacle : je lis trois cents livres par an et il y en a presque autant que je lis en partie.
Le libraire, un expert
Avoir une expertise sur la lecture, c’est d’abord avoir une énorme expérience. Donc avant de me lancer dans cette aventure, j’ai fait une liste de ce qui manquait dans mes lectures : je n’avais par exemple jamais lu de Musso ou Finnegans Wake… J’estime que ça fait partie de l’honnêteté du libraire. Ça peut paraître idiot mais il y a une question de volume de lecture qui entre en compte.
Principaux défis
C’est d’abord un défi personnel qui tient à la découverte de l’attente, celle du client. On peut l’attirer grâce à Facebook ou à des activités et des rencontres, mais ça reste une forme d’attente, surtout pour quelqu’un qui possède une expérience d’entrepreneur comme la mienne, où la proactivité a toujours été nécessaire. Mais ça marche bien, donc je me dis que la radicalité de la démarche est un gage de réussite. Par contre, le métier en lui-même est constitué de choses que je connaissais déjà bien, comme la gestion et la comptabilité. Et puis afin de me préparer à relever ce défi, j’ai tout simplement effectué un stage à la librairie Livre aux trésors pour mieux comprendre les mécanismes du métier, les commandes, leur suivi, les retours…
Les éditeurs
Quand un représentant entre dans la librairie, je ne le vois pas lui mais bien les livres qu’il propose. J’ai pris l’habitude de commander ce qui m’intéresse en un seul exemplaire. Ensuite, seulement si ça me plaît, j’en commande dix ou vingt. Mais je reçois aussi beaucoup de services de presse via le blog de la librairie, donc je lis souvent un livre avant même que le représentant ne passe.
Internet, Facebook, une présence nécessaire
une présence nécessaireMes découvertes littéraires se font souvent grâce aux blogs littéraires ou à Facebook. Ce sont des outils à manipuler consciencieusement mais également très utiles. Comment envisager de toucher autrement quelques milliers de personnes de manière aussi directe ?
La vente en ligne
Jamais ! J’ai voulu faire quelque chose qui me plaisait, donc ne pas devenir un réceptionneur-emballeur. Et puis je pense que ce n’est pas une bonne idée de concurrencer Amazon qui est imbattable sur son terrain. Il faut proposer autre chose, des expos, des rencontres, montrer qu’on lit vraiment ce qu’on vend, d’où mes chroniques disponibles sur le site. Par ailleurs, beaucoup de librairies livrent aux collectivités, alors que je m’y refuse. Mais si on me demande de réaliser un programme, je retrouve mon rôle de libraire, celui d’opérer une sélection parmi des livres.
Les rencontres
C’est une nécessité aujourd’hui, me semble-t-il. J’aime beaucoup ça et je les ai toujours initiées à partir d’un désir personnel. Ce n’est pas toujours parce qu’on trouve le livre bon, c’est aussi parfois pour éclaircir des questions d’écriture, de démarche intellectuelle de l’auteur. En tout cas, ce n’est jamais pour participer à la promotion de l’auteur ou du livre. Car cela requiert beaucoup d’énergie et de temps, et financièrement on ne s’y retrouve jamais totalement non plus, ou alors rarement. Le rythme de quatre rencontres par mois sera peut-être difficile à tenir, on verra à l’avenir : la préparation, indispensable, est énorme et cela implique aussi une fatigue nerveuse. Mais ça me plaît et le public semble également apprécier.
Un livre en 2013
Sur ces huit premiers mois, assurément Trop tard de Werner Kofler, paru chez Absalon. C’est un immense écrivain dont on parlera encore longtemps. Il n’y a que lui qui écrive comme ça. C’est une écriture ardue, on y lit véritablement de la rage. Mais quel plaisir en retour ! Sa découverte ne laisse personne indifférent.
Cet article est précédemment paru dans la revue Indications n o 398.