critique &
création culturelle
Queen and Slim
Par contumace

Un match . Un contrôle. Une fuite. Un road movie vertigineux sur fond de fracture sociale.

Élancée comme une panthère dans la fumée
Le regard noir, le visage fier, le pas feutré
Ce qu'on a découvert sur terre m'a fait pleurer
Oui j'avais l'air et la manière d'aimer

Élancée comme une guerrière dans la mêlée
Le regard fixe, prête pour la rixe, j'ai riposté
Le goût du danger sur mes lèvres l'a fait pleurer
Il avait l'air et la manière d'aimer

Fishbach- Un autre que moi

Parfois assis dans un bar à attendre des amis ou dans les transports publics, on  laisse glisser nos oreilles curieuses pour glaner des bribes de dialogues qui nous font sourire ou excitent notre imaginaire. Grâce à la première scène de Queen and Slim de Milena Matsoukas, on peut jouer les voyeurs sans gêne ni culpabilité, sagement confinés sur nos canapés. Ça a tout l’air d’un date mal engagé : ils se retrouvent dans un bistrot de bord de route dont le fumet de burger réchauffé transperce l’écran. Elle (excellente Jodie Turner-Smith) est incisive, il est taciturne (Daniel Kaluuya de Get Out et Black Panther ), le gouffre entre eux est gênant. À priori, ce n’est pas un match mais la soirée prend pourtant un tour différent.

À la fin de ce rendez-vous chaotique, alors qu’il la ramène chez elle, la voiture est arrêtée pour un contrôle de routine. Le policier visiblement agité fouille sans rien trouver. Slim, plutôt résilient, décide de faire profil bas alors que sa partenaire, une avocate cinglante ne compte pas se laisser faire. La tension est palpable, le ton monte, l’irréversible se produit. Flic, flingue, fuite.

Milena Matsoukas, qui brillait déjà comme réalisatrice de clip à gros budgets (elle a collaboré avec Rihanna et Beyoncé), nous propose un premier film ambitieux, esthétique et sensuel. Un hommage à l’errance, où l’ivresse fragile de l’amour bat à rebours d’une course contre la montre et au rythme de la Soul. Coloré et acide, tendre et amer, Queen and Slim incarne un Bonnie and Clyde moderne qui ne nous fait aucunement regretter d’être coincés chez nous.

Cette histoire semble intemporelle. Le registre populaire ne manque pas de références : un couple de fugitifs que l’on voit évoluer et auquel on s’attache tout au long de leur traque et pour lequel on souhaite que tout finisse bien. On croirait la fable sortie d’une autre époque et en même temps, sa résonance est terriblement actuelle. L’histoire est suffisamment solide et les personnages suffisamment consistants et nuancés pour ne pas servir de prétexte à la dénonciation des discriminations raciales et systémiques encore très présentes. Ce road movie nous embarque sur les routes mélancoliques de la fuite et au cœur même de la violence de nos sociétés. Il ne nous interroge pas réellement sur la culpabilité, il dépasse  même la question de la justice comme institution pour redistribuer savamment les cartes de la responsabilité de la violence qui fracture. Elle est d’abord sourde puis vertigineuse et finalement explosive : à qui la faute ?

Le film aurait été politique même malgré lui, parce que le racisme reste une réalité. Il existe encore des discriminations et ce compris dans l’industrie du cinéma. On s’interroge souvent sur le rôle de l’art et des artistes : moi, je suis  rarement surprise de voir des comédiens noirs et talentueux, encore cantonnés à des rôles qui soient, par nature, engagés. J’ai hâte que ça change. On est sans cesse en quête d’innovation et voilà une opportunité de révolutionner les choses qui nous pend au nez depuis longtemps : une véritable inclusion. Non pas un ersatz de nouveauté, non pas une timide velléité mais un engagement sincère de changer le cinéma. Il faut bien l’admettre, le succès des plateformes de streaming est peut-être dû au fait qu’elles ont une longueur d’avance en la matière. Pour l’heure, le générique de fin nous fait surtout l’effet d’une gueule de bois.

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Queen and Slim

Réalisé par Melina Matsoukas
Avec Daniel Kaluuya , Jodie Turner-Smith , Bokeem Woodbine
États-Unis, 2020
132 minutes

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