The Party de Sally Potter
« J’ai des amis qui sont aussi mes amoureux »
Un film comme un huis clos, gris comme les âmes. Avec The Party , Sally Potter se moque tendrement des paradoxes de l’intelligentsia de gauche, s’invite dans les lits et se la joue terroriste en prenant un plaisir fou à arracher les masques.
Janet (Kristin Scott Thomas) fête le sacre d’une carrière entière en politique : elle vient d’être nommée ministre de la Santé alors qu’elle est membre, comme elle aime à le répéter, d’un parti d’opposition. Une femme, arrivée au sommet à force de travail et de détermination. Elle invite donc tous ses amis proches à la rejoindre pour célébrer sa nouvelle fonction. Mais le drame s’est déjà incrusté à la fête en convive surprise. Il a un visage multiforme qui prend d’abord les traits de Tom (Cillian Murphy), angoissé et suant, semblant se prendre les pieds tout seul dans son jeu social et tentant tant bien que mal de cacher… son arme. On pense que c’est là que se trouve l’intrigue et pourtant elles se superposent, s’entrecroisent et rythment ce mélange corsé de cynisme et d’humour noir. La réalisatrice anglaise s’amuse ici à arracher les masques et, de révélations en révélations comme une poupée russe, à enlever les couches d’oignons de tous ses personnages pour nous surprendre jusqu’à la fin, où l’arroseur est arrosé.
Le film commence lentement, on pose le décor, le temps pour le spectateur de prendre ses marques et de s’installer dans ce salon chic et bien décoré. De vieux hommes croulants et leurs épouses dynamiques et déterminées, un couple de lesbiennes et un jeune financier ambitieux que sa femme va rejoindre. À peine nommée au départ, Marianne devient centrale, la mystérieuse absente apparaît peu à peu au cœur du jeu. Le rythme s’accélère, toujours maîtrisé même quand tout semble déraper et aller dans tous les sens. Le film est gris, comme pour signifier que le temps s’est figé : il n’y a qu’un temps, qu’un lieu, une bulle spatio-temporelle où tous les personnages semblent cernés. Peu à peu le vernis craque, on filme au plus près des visages pour démasquer, arracher l’apparence, révéler les angoisses, l’hypocrisie, la déchirure ou le vide au fond des yeux. J’aime personnellement le mélange des genres comme quand le théâtre s’invite à l’écran. The Party est une pièce filmée. L’avantage de la caméra sur le théâtre, c’est qu’elle peut aborder différents angles et isoler ses personnages comme dans cette salle de bain où chacun passe tour à tour, comme un sas avant de remonter sur le ring.
On pourrait avoir peur des stéréotypes (la femme lesbienne, professeure en étude de genre ; la femme politique et carriériste, insensible ; le coach de vie dont on ne comprend pas un traître mot ; le banquier frénétique et ambitieux) mais on passerait à côté du sujet. Sally Potter utilise les clichés pour se moquer tendrement d’une gauche bien pensante qui se révèle pleine de contradictions et d’hypocrisie (quand Tom pointe du doigt la maison luxueuse dans laquelle vivent ses amis anticapitalistes) mais il s’agit de bien plus que cela ici. Le sujet mis en avant n’est pas le véritable sujet ; le personnage central n’est pas le véritable personnage central : ainsi, par plusieurs tours de passe-passe, Sally Potter s’amuse à savamment détourner notre attention pour que la fin soit plus savoureuse.
Est-ce un film sur l’adultère ? Le paradoxe ? Le charlatanisme ? Ou plutôt un ovni qu’on ne peut pas réellement définir ? C’est un film sur la vie, sur ses surprises, sur sa capacité à nous faire nous rendre compte qu’elle aura toujours un coup d’avance. C’est un film sur nos limites, celles qui nous éloignent du Tout-savoir ou du Tout-pouvoir, celles qui nous retirent la maîtrise et le contrôle du cours des choses même quand on arrive au sommet. Elles nous poussent alors à regarder nos fragilités moqueuses et nos humbles peurs.