critique &
création culturelle
Une Favorite embrouillée

Ce mois-ci, l’Opéra royal de Wallonie-Liège propose une version en français de la Favorite de Donizetti, en coproduction avec La Fenice de Venise. Une mise en scène compliquée rendant l’intrigue peu évidente à saisir.

Selon Donizetti et ses librettistes, l’histoire se déroule en 1340 dans une Espagne en pleine Reconquista. Fernand, novice au monastère de Saint-Jacques de Compostelle, tombe éperdument amoureux d’une belle fidèle venue prier. Cette inconnue, c’est Léonor de Guzman, maîtresse du roi Alphonse XI. Le novice et sa douce se voient à plusieurs reprises sur une île, où Fernand la demande en mariage. Léonor prend peur et refuse. Le roi débarque à son tour sur la plage, ce qui mène Fernand à penser que Léonor est noble. Pour la mériter, il part à la guerre. À Séville, Alphonse fête la victoire de Fernand sur les Maures et place sa maîtresse au centre de ses attentions, sans se soucier de sa reine. Le prieur Balthazar, mandaté par le pape, prévient Alphonse qu’il doit bannir Léonor sous peine d’être excommunié. Car enfin, un roi ne répudie pas sa femme sans faire rugir la colère divine. Le roi décide alors de marier Léonor à Fernand, qui ne connaît toujours pas la véritable identité de sa future femme. Les noces sont célébrées dans une joie en demi-teintes. Soudain, un courtisan, Don Gaspar, annonce à Fernand la triste condition de son épouse. Furieux, Fernand s’en retourne au monastère et prononce ses vœux. Léonor l’y retrouve, mourante. La flamme pour elle se ranime dans le cœur de Fernand, mais quand il lui propose de s’enfuir avec lui, Léonor, dans son dernier souffle, lui demande de respecter ses vœux. Fernand exprime son désespoir dans un cri déchirant.

© Lorraine Wauters | Opera Royal de Wallonie

Créé en 1840 à l’Opéra de Paris, la Favorite connaît un certain succès auprès du public francophone. Cet opéra en quatre actes mêle le style italien du bel canto (celui où les rôles sont composés pour des chanteurs précis, leur permettant de démontrer leurs capacités vocales) à celui du grand opéra français, où l’on retrouve un ballet ainsi qu’une grande scène chorale rappelant l’ambiance blinquante de la cour. Les deux rôles « principaux » sont très exigeants sur le plan vocal : Fernand, ténor1 , a des airs puissants et emplis d’émotion. Celso Albelo, le Fernand de cette coproduction, explique que c’est un rôle très nuancé demandant une technique impeccable et une gestion irréprochable des aigus. Léonor, premier grand rôle de mezzo-soprano2 dans l’histoire de l’opéra en français, est plus mélancolique, avec des éclats de voix dans les arias.

Pour Rosetta Cucchi, pianiste et metteuse en scène de cette coproduction, l’intrigue prend place dans un futur ni proche ni lointain, un monde sans plus aucun pacte social entre les hommes et la nature ; un monde dans lequel les hommes et les femmes sont séparés. Cucchi explique que les femmes « ont été privées de leurs droits et sont élevées pour mettre au monde une génération de guerriers. Elles sont contrôlées et ont été dépossédées de leur liberté de choix et de leurs capacités de lutte »3 . Cucchi imagine un roi faible et soumis à la volonté divine. Léonor, seule, semble se rebeller face à l’ordre établi. Pour Cucchi, l’intrigue dramatique de l’œuvre repose sur « l’homme et sa fragilité, le pouvoir des religions et le libre arbitre »4 . La metteuse en scène explique également n’avoir fait aucune référence à une époque en particulier.

Tout me semble compliqué dans cette production, où les intentions de la metteuse en scène ne ressortent pas vraiment. Pire, elles paraissent confuses. En effet, pourquoi parler d’un monde futuriste alors que les costumes ainsi que l’utilisation de nymphes (l’aspect et les mouvements toujours groupés des femmes y font une évidente référence) sortent clairement d’un univers de fantasy , d’un Moyen Âge fantastique ? Tous les éléments du décor sont disparates : un mur en plastique incurvé donne un certain relief au fond de la scène, sur lequel sont projetées des images de la mer ou de la forêt ; la plastique affirme sa domination scénique sous la forme de ce que Nicolas Blanmont appelle un « improbable croisement entre un ballon de plage et un rideau de douche », au-dessus duquel pendent quelques tristes branches. Le reste du décor m’a fait penser à ce qu’on pourrait retrouver dans la série Game of Thrones , avec une plage froide aux rochers rugueux, un trône presque de fer et des duplicatas de Daenerys comme groupe de femmes. La dualité hommes en noir/femmes en blanc marque un contraste trop évident et violent pour une œuvre où le tragique reste subtil. Comme si Cucchi avait décidé d’exploiter toutes les idées sorties de son brainstorming . Le message qu’elle essaie de faire passer repose trop sur le décor, sans se soucier des contradictions que cela peut engendrer par rapport au texte et à la musique, voire même par rapport au caractère des personnages.

Heureusement, la qualité vocale et la présence scénique des chanteurs (remarquables Celso Albelo et Sonia Ganassi, entre autres) permettent d’éclipser les erreurs de mise en scène et l’absence de jeu. Un excellent orchestre et des chœurs au point contribuent à la réussite de ce spectacle. Car la Favorite est un opéra qui s’écoute très facilement, avec ses airs entraînants et ses prières profondes. Le fait que le texte soit en français aide à entrer aisément dans l’histoire et les émotions des protagonistes. Il faut juste accepter de ne pas tout comprendre au contexte scénique.

Même rédacteur·ice :

La Favorite

de Donizetti

Direction musicale : Luciano Acocella
Mise en scène : Rosetta Cucchi
Chef des chœurs : Pierre Iodice
Artistes : Sonia Ganassi, Celso Albelo, Mario Cassi, Ugo Guagliardo, Cécile Lastchenko, Matteo Roma